Faire son salaire

L’avantage de la sociologie, et sa différence fondamentale avec d’autres modes de connaissance, en particulier le journalisme, c’est qu’en principe elle n’a pas vocation à s’intéresser davantage au spectaculaire qu’à l’ordinaire, davantage aux marges qu’au centre, davantage à l’exception qu’à la règle, davantage au déviant qu’au conforme… En théorie, du moins. Car souvent les sciences sociales cèdent aussi à l’attrait de l’inédit, du spécifique, oubliant peu à peu les récurrences les plus puissantes. Il en va ainsi du travail, par exemple. Depuis une bonne vingtaine d’années les recherches se sont multipliées à propos de ses marges, s’intéressant à la précarité, au chômage, aux indépendants ou à ceux qui bénéficient de très hautes rémunérations. Pourtant neuf personnes en emploi sur dix sont aujourd’hui salariées en France, et l’écrasante majorité en contrat à durée indéterminée. C’est à cet emploi stable et classique que s’est intéressée depuis vingt ans Sophie Bernard, pour mieux saisir combien derrière ces apparences de stabilité, le salariat a été profondément modifié. Alors qu'elle publie «Le nouvel esprit du salariat», elle est  l’invitée de La Suite dans les Idées, et rejointe en seconde partie par la cinéaste Sophie Bruneau, auteure notamment de «Rêver sous le capitalisme»