Pour la première fois en France, la fameuse « libération de la parole » s’incarne à nouveau, et relance la conversation. Adèle Haenel ouvre le deuxième temps de #MeToo : c’est ma théorie.
Qu’avons-nous appris deux ans après la déferlante #MeToo ? La parole que porte l’actrice Adèle Haenel dans l’espace public, à travers l’enquête puis le live que lui a consacré Mediapart, nous met face à cette question.
Comme je l’ai dit ici MeToo n’est pas « mouvement » mais un « moment », partout, à l’échelle de la planète, s’est déclenchée une « libération de la parole sur les violences sexuelles et sexistes ». Seulement pour la première fois en France depuis de longs mois, il me semble que cette expression de « libération de la parole » s’incarne à nouveau, et relance la conversation. Adèle Haenel ouvre le deuxième temps de #MeToo : c’est ma théorie.
En France, récemment occupés que nous étions à solder les comptes de « Balance ton porc », variante prétendue plus délatrice de « Me Too », on en aurait presque oublié le fracas de cette fameuse « libération de la parole ». C’est fou comme les choses se recouvrent.
Venu à nouveau du cinéma, un monde où s’exerce une emprise particulière sur les victimes de harcèlement ou de violence sexuelle, le témoignage d’Adèle Haenel met fin à une forme d’atonisation. Et elle ouvre une mise à jour salutaire.
D’abord, deux ans après l’affaire Harvey Weinstein, producteur de cinéma américain accusé d’agression sexuelle par près de 80 femmes, la voix d’Adèle Haenel affine autant qu’elle affirme cette question de la prise de parole.
Accusant le réalisateur Christophe Ruggia, « d'attouchements » et de « harcèlement » alors qu'elle était âgée de 12 à 15 ans, et lui de 36 à 39 ans, sa parole ne s’élance pas seule dans l’espace public, elle est complétée et confortée par une enquête journalistique faite de plus de 33 témoignages ainsi que des preuves de la constance du récit d’Adèle Haenel sur les faits reprochés. Un dispositif qui pourrait inspirer la justice trop souvent réduite au parole contre parole justement.
Autre enseignement deux ans après MeToo : cette parole d’Adèle Haenel n’est jamais livrée sans que soit exposée systématiquement la réaction de l’agresseur supposé, qui nie catégoriquement les faits. Pour autant, et compte tenu des informations apportées par l’enquête, la Société des réalisateurs de films (SRF), a décidé, pour la première fois avec Christophe Ruggia, de procéder à la radiation de l’un de ses membres. Il pourra s’il le souhaite, s’exprimer face au conseil d’administration pour s’expliquer ou contester son exclusion. Mais on voit ainsi comment la prise en compte de la parole des victimes présumées peut progresser, et inverser le sens habituel de la justification.
Il n’était pas question, dans le doute, de recouvrir à nouveau de silence les faits rapportés. Car c’est autant l’histoire d’un silence qui s’affirme que celle d’une prise de parole. Et c’est aussi en cela que ce « moment d’Adèle Haenel » ouvre un deuxième temps de MeToo. Par cette tentative d’exploration et de confrontation des mécanismes d’impunité.
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Au fond, si Adèle Haenel apporte un nouvel élan à MeToo, c’est aussi parce qu’elle fait progresser cette formulation de l'indicible. Pour les victimes, pour les témoins, pour la société en général. Elle pose des mots sur cette relation particulière, cette emprise, ce rapport de créancier-débiteur vis-à-vis d’un créateur (ou d’une puissance supérieure) à qui l’on pense tout devoir, et que l’on se sent coupable de repousser.
Enfin, dépassant la notion de censure des œuvres, souvent agitée depuis MeToo, cette voix d’Adèle Haenel plaide pour la fin d’une étanchéité de principe entre l’artiste et l’homme. Comme elle l’a fait il y a quelques semaines au festival de La-Roche-sur Yon, Adèle Haenel nous confronte à la discussion.
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