

Partageant notamment une admiration passionnée pour Notre-Dame de Paris, Claude Nougaro et Victor Hugo n’ont-ils pas aussi en commun d’avoir écrit les plus beaux textes littéraires sur l'architecture, de ceux qui ont transformé des pierres sacrées en patrimoine pour tous les cœurs profanes ?
Claude Nougaro est mort il y a 15 ans déjà, pourtant il fête son 90ème anniversaire aujourd’hui en pleine forme. Car à mesure que le temps passe nous prenons conscience de la vivacité de son apport, non seulement en tant que chanteur et poète "jazzistique", mais en tant que poète tout court. N’est-il pas le Victor Hugo du XXe siècle ? C’est ma théorie en tous cas.
Bien sûr, on pourrait davantage ranger Claude Nougaro aux côtés de Brel, Brassens, Ferré ou Gainsbourg, à la fois monuments de la chanson et parangons des mots. Mais s'il existe une parenté entre Nougaro et ses autres condisciples de l’histoire des arts, s’il fallait lui trouver un véritable frère de sens, ce serait Victor Hugo.
N’ont-ils pas en commun d’avoir écrit les plus belles pages architecturales, de celles qui ont transformé des pierres sacrées en patrimoine pour tous les cœurs profanes ? Chez Nougaro, dans sa chanson Toulouse, l'église Saint-Sernin devient cette "fleur de corail que le soleil arrose". Chez Victor Hugo, Notre-Dame de Paris cette "sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère, variété et éternité".
Hugo et Nougaro, une commune admiration pour Notre-Dame
Comme le montre cette excellente enquête de la Revue des Deux Mondes, Hugo et Nougaro ont tous deux été subjugués par Notre-Dame. On y apprend que Claude Nougaro passa, avec sa femme Hélène, les cinq dernières années de sa vie à quelques pas de l’édifice. Pour mieux la contempler lorsqu’il était à son bureau, il avait installé un miroir en rétroviseur dans lequel dansait depuis l’embrasure de la fenêtre le reflet de la cathédrale. Et c’est bien à Notre-Dame le 8 mars 2004 que le cercueil de Nougaro est entré, "plume d’ange", pour une messe d’obsèques.
Claude Nougaro, qui découvrit la force du verbe grâce aux vers de Victor Hugo - et de Rimbaud aussi, n’est pas seulement le jongleur de mots qu’on a pu décrire. Son rapport à la poésie dépasse les effets de rimes et les trouvailles textuelles de ses chansons, c’est un rapport structurel. C’est aussi ce qui le rapproche de Victor Hugo : la poésie charpente toute son œuvre. Césures, allitérations et assonances guident les pas de son écriture. Il en donnera la version la plus radicale dans son ultime spectacle « Les fables de ma fontaine » en 2002.
Artiste engagé, dramaturge, romancier, de tous les visages de Victor Hugo c’est celui du poète qui compte le plus. Il en va de même avec les pérégrinations artistiques de Nougaro : elles nous ramènent toutes à la poésie. Et si avec lui la chanson revient à sa première nature poétique, c’est qu’elle est tout entière dans la métrique. Ne composera-t-il un titre en hommage à l’alexandrin, " La bête aux douze pieds qui marche sur la tête" ?
"Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille" : Baudelaire, mais aussi Lamartine et Racine s’invitent dans cette bizarrerie rock funk pour Chevalier du désordre et des lettres. Dans "Le feu sacré" qui accompagne ce 90ème anniversaire, le premier coffret à présenter l’intégralité de ses enregistrements de 1958 à 2004 - une "Pléiade" en somme - l’album "Récréation" illustre son approche traditionnelle, au sens noble, de la poésie. Ce sont douze pièces dédiées à ses frères d’arts, toutes structurées selon ces trois temps : prologue, poème de Nougaro pour le dédicataire, et interprétation d’une des œuvres de ce dernier. C’est bien dans la tradition de l’hommage aux maîtres, chère à Hugo, que se place Nougaro. Le recueil de textes inédits et d’aphorismes que publie tout juste le Castor Astral (sous le titre "L’amant des mots") le confirme encore.
Si pour Nougaro le jazz était "la musique classique du XXème siècle", il aura aussi été le Victor Hugo de ce dernier.
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