Après les temps nouveaux, la chute. écrivait René Barjavel dans son roman dystopique "Ravage". Pour le monde de la culture aussi, l'horizon s'est assombri. Sauf si l'on voit le raisonnement dans le sens opposé ? Après la chute, les temps nouveaux. Et le temps est venu pour la culture d'expérimenter.
Imaginez la culture dans le monde d’après c’est se rendre sur trois planètes en en même temps : celle du désastre, celle de l’utopie et celle de l’expérimentation. Bref il faut faire preuve d’ubiquité. Voilà ma théorie.
Le crash test de la culture
Le monde d’après pour la culture, ce sont avant tout des pertes terribles et la mise en péril de nombreuses structures. Impossible de cartographier précisément ici cette « planète désastre », mais pour reprendre la grande enquête du Monde sur ce que le président du Musée Picasso, Laurent Lebon, appelle le « crash test de la culture » : l’ardoise des lieux culturels s’élèverait au moins à 1 milliard d’euros. A quoi s’ajoute le lourd tribut de ceux et celles, artistes ou auteurs, associatifs ou techniciens, qui font vivre ladite culture.
Ensuite pour évoquer, ne ce ne serait-ce que le secteur de l’édition, il faut bien imaginer que si Madrigall, le troisième groupe éditorial français annonce 40% de livres en moins d’ici la fin de l’année, on estime que plus de la moitié des petites maisons d’éditions risquent de disparaître à l’issue de la crise. Bref, la culture dans le monde d’après a surtout une affreuse gueule de bois.
Rendons-nous maintenant sur les deux autres planètes, l’expérimentation et l’utopie.
L’utopie, c’est l’esprit « L’an 01 » de Gébé, cette BD matrice dont je vous ai parlé où « on arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste ! ». La culture vit ce temps d’arrêt où elle peut se réinventer.
Le cinéma, l’édition, parmi d’autres secteurs, ont eu à s’interroger depuis quelque temps sur le phénomène de surproduction. Cette décélération forcée n’est-elle pas l’occasion d’en sortir ? N’est-ce pas le moment de suspendre les paris de rentabilité, les logiques de coups, les recettes, les calques, les suites, les déclinaisons, et les dérivations à n’en plus finir ?
Enfin, la « block-busterisation » de la culture ou ce que Georges Perec appelait la logique de « hit parade » étendue à tous les domaines artistiques, ne pourraient-elles pas, elles aussi, disparaître ?
Ces premières lignes de fuite ne sauraient rendre compte de l’immensité des possibles qui s’offrent dès lors que la culture dans le monde d’après se pense comme une page blanche ou un rêve éveillé.
L’expérimentation, nouveau modèle de culture ?
Mais ce qui m’intéresse le plus c’est la troisième des planètes que j’évoquais tout à l’heure, celle de l’expérimentation. La culture d’après a un devoir de mémoire vis-à-vis de ce qui s’est manifesté, improvisé, transformé pendant cette phase historique.
A la manière d’un tiers paysage en friche, pour emprunter au vocabulaire du paysagiste Gilles Clément, à la manière des tiers lieux dont la proposition culturelle, citoyenne ou encore, architecturale s’est faite au fil des échanges, des interactions, et des essais, une sorte de « tiers culture » a pris forme.
Une culture dé-formatée, agile et mouvante. Repensant ses missions et ses programmes (comme l'audiovisuel public), remettant l’underground en surface et les à côtés au centre (Neil Young n’est-il pas devenu le prince des live de confinement ?), inventant des solidarités et des mises en partage, faisant de la création un espace plus démocratique que jamais, découvrant des synergies et des complémentarités, remettant par son manque l’expérience collective et organique au cœur de nos besoins, prouvant enfin chaque jour sa nécessité sociale et sa puissance résiliente.
C’est sur cette planète-là, celle qui s’est formée dans les marges d’un monde culturel à l’arrêt qu’il y a chercher, à s’inspirer, et à imaginer, « la culture d’après ».
par Mathilde Serrell
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