Iconographie de la grève, une histoire de la culture au présent

Des salariés grévistes dans une blanchisserie en 1936
Des salariés grévistes dans une blanchisserie en 1936 - BNF Gallica - Agence Meurisse
Des salariés grévistes dans une blanchisserie en 1936 - BNF Gallica - Agence Meurisse
Des salariés grévistes dans une blanchisserie en 1936 - BNF Gallica - Agence Meurisse
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Au début du XXe siècle, les avant-gardes s’étaient alliées aux ouvriers pour produire l’iconographie de la révolution socialiste. En 2020, à quels nouveaux genres visuels populaires, issus d'Internet ou des réseaux sociaux, les images de la grève et du mouvement social actuel font-elles référence ?

« La grève est-elle redevenue cool ? » : la question ainsi posée semble déplacée par rapport aux enjeux de cette quatrième journée de grève interprofessionnelle et de manifestations à travers toute la France. Elle est en définitive aussi passionnante que révélatrice. Usbek & Rika « le média qui explore le futur » s’en est emparé pour montrer les nouvelles formes créatives qui sont apparues dans le sillage du mouvement social. 

Et ma théorie c’est que dans ce moment de formulation et d’énonciation d’une mobilisation apparaît une photographie de ce que sont les référents de la culture populaire. Et à ce titre, l’observation de codes d’expression de cette grève des années 2020 nous enseigne une histoire de la culture au présent.

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Au siècle dernier, ce sont les avant-gardes qui se sont alliées aux ouvriers et aux amateurs pour produire de nouvelles images de la contestation. Dans un contexte de crispations politiques, économiques et sociales, était née en 1932 à Paris l’association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). Et avec elle « la photographie comme arme de classe ». Une exposition présentée l’année dernière au Centre Pompidou mettait très bien en évidence l’invention de ce langage iconographique "à la croisée du discours critique, du geste militant et de l’esthétique du documentaire". On y voyait les photographies et les photomontages conçus comme symboles populaires fédérateurs par de grands noms comme Man Ray, Jacques-André Boiffard, Henri Cartier-Bresson, André Kertész, Germaine Krull, ou Eli Lotar.

Et à travers ces images, ce sont les références de l’engagement à l’époque et ceux de la culture populaire qui filtrent. Le poing levé apparaît ainsi sur les pancartes de 1934 inspirées du parti communiste de la république de Weimar où il a été utilisé la première fois en 1924. Apparaît aussi l’usage militant des photomontages comme ceux de l’architecte Charlotte Perriand. Une combinaison entre dénonciation des conditions de vie et images d’un futur meilleur. À l’époque ce sont d’un côté les photos de la misère et des taudis et de l’autre ceux du sport et des loisirs. 

Qu’en est-il aujourd’hui dans les années 2020 ?  Le poing levé est devenu un emoji. Parfois enserrant des câbles ethernet. Il est décliné avec différents slogans chez les travailleurs et travailleuses du clic. Un collectif d’acteurs du numérique estime que l’automatisation « peut et doit servir l'humanité », et qu’elle permettrait de ne pas travailler plus, ni plus longtemps, mais moins ! Le futur rêvé pour " On est la tech" ? : « partir en retraite plus tôt dans d'excellentes conditions de vie et dégager du temps libre pour étudier, expérimenter, pratiquer les sports, les arts, passer du temps en famille ou entre amis, vivre ». Pas si loin de Charlotte Perriand…

Une pancarte de la CGT contre la réforme des retraites reprenant les codes des mèmes sur internet
Une pancarte de la CGT contre la réforme des retraites reprenant les codes des mèmes sur internet
- Reforme-retraite.info - CGT UGICT

Sur les pancartes de la CGT qui reprennent des codes graphiques inspirés des nouveaux affichistes du street art, ce n’est plus la photo documentaire qui est utilisée et retravaillée mais les mèmes, ces détournements qui se déclinent à l’infini sur Internet, et qui s’imposent comme le code iconographique de la culture populaire actuelle. Les images dénonciatrices de la misère ont fait place au grand méchant loup de Wall Street alias Jordan Belfort (incarné par Leonardo di Caprio chez Scorsese) ou encore des variations sur le thème « OK Boomer ». 

Enfin, un siècle plus tard, ce vocabulaire iconographique de la grève et du mouvement social s’appuie sur de nouveaux grands genres visuels populaires : l'Heroic fantasy ou encore les films Marvel qui inspirent par exemple ce montage d’un gréviste de la ligne 7 du métro parisien.

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La place dominante du jeu vidéo et l’e sport dans la culture populaire se retrouve également dans les marathons du collectif « recondutsream » sur la plateforme Twitch, où les live de jeux vidéo sont transformés en soirée-débat sur la grève et collecte de fonds pour les grévistes.

En 2020, ces créations ne montrent pas temps que la grève est "redevenue cool", ou que les avant-gardes se sont en partie déplacées dans l’espace numérique, mais surtout que nous avons devant nous l'agrégation révélatrice d'une nouvelle imagerie populaire commune.

par Mathilde Serrell

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