

En quoi Roman Polanski a-t-il rendu son film indissociable de la polémique qui l’entoure?
Comment saborder son propre film ? « J’accuse » de Roman Polanski, salué par la critique et récompensé par le Grand prix du jury à Venise, sort bien ce mercredi en France, mais sa réception est totalement brouillée. En fait Polanski a peut-être créé le pire contexte de réception d’une œuvre : c’est ma théorie.
Vendredi Le Parisien/Aujourd’hui en France publiait une tribune signée de Valentine Monnier, une Française qui accuse le cinéaste de l’avoir frappée et violée quand elle avait 18 ans. Tribune accompagnée d’une enquête auprès des proches et témoins de l’époque. Depuis, la promotion du film s’est interrompue. Jean Dujardin a notamment annulé sa venue au 20H de TF1. Lui qui incarne, dans ce thriller politique, le lieutenant-colonel Georges Picquart, chef des services de renseignement qui va faire éclater la vérité et diffuser les preuves permettant d'innocenter le capitaine Dreyfus, injustement condamné sur fond d’antisémitisme virulent.
Polanski qui réfute je cite « avec la plus grande vigueur » le témoignage de Valentine Monnier, comme les trois autres accusations de viols ressurgies ces dernières années, ne participera pas au « tribunal médiatique » a fait savoir son avocat; il ajoute qu’il « déplore gravement la parution, à la veille de la sortie du film, de telles accusations. » Or, c’est précisément parce que le film sort que ce témoignage s’est imposé alors que la victime présumée n’a jamais porté plainte et que les faits sont prescrits.
La tribune de Valentine Monnier est à ce titre on ne peut plus claire : « Sans J'accuse, je serais restée dans mon silence, comme je le fais depuis quarante-quatre ans » écrit-elle. C’est l’analogie sous-tendue entre le sort de Polanski et l’affaire Dreyfus qui l’aura poussée à parler. C’est à dire le scandale d’une erreur judiciaire qui va durer 12 ans de 1894 à 1906 et recomposer totalement le champ politique, culturel, et intellectuel de la France pour tout le siècle à venir.
"Je connais bon nombre de mécanismes de persécution qui sont à l'œuvre dans ce film" avait notamment dit Polanski dans le dossier de presse du film, où figurait cette question surréaliste de l’essayiste Pascal Bruckner « En tant que juif pourchassé pendant la guerre, cinéaste persécuté par les staliniens en Pologne, survivrez-vous au maccarthysme néoféministe d’aujourd’hui ? » Et Polanski de répondre entre autres « Travailler, faire un film comme celui-là, m’aide beaucoup, je retrouve parfois des moments que j’ai moi-même vécus, je vois la même détermination à nier les faits et me condamner pour des choses que je n’ai pas faites » avant de préciser plus tard dans le Point « si on pense que je me compare à Dreyfus, je n’ai même pas envie d’en discuter, c’est complètement idiot ! »
Le parallèle aura pourtant été insinué, et jugé d’ailleurs obscène au moment de La Mostra par le magazine Variety. C’est ainsi, quoi qu’arbitrera la Justice, que Polanski a massacré lui-même la réception de son film. L’étanchéité entre l’œuvre et l’artiste c’est sa propre démarche qui la remet en question.
Dans son « J’accuse », lettre ouverte au président de la République le 13 janvier 1898, Zola s’engage pour la vérité alors que les preuves permettant d’innocenter Dreyfus ont été passées sous silence et que le véritable coupable d’espionnage est acquitté. « Le double crime est consommé : Condamnation d'un innocent, acquittement d'un coupable » écrit-il. Alors que la vérité n’a pas pu se faire jour dans les affaires qui concernent les agissements de Polanski dans les années 70, comment laisser entendre une telle comparaison ?
La tribune de Valentine Monnier évoque la « La Vérité sortant du puits » célèbre manifeste dreyfusard peint par Edouard Debat-Ponsan en 1898 et offert à Emile Zola pour son engagement dans ce combat. On y voit la vérité incarnée par une jeune femme qui s’extrait de l’obscurantisme d’un puits pour nous tendre un miroir tandis que l’armée et l’église représentées par deux hommes violents tentent de la retenir en lui arrachant ses vêtements… Ce qui perturbe fondamentalement la réception de cette œuvre, c’est que sans que la justice ait pu trancher, on puisse laisser penser une seconde que la jeune fille c’est Polanski.
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