Le théâtre politico-médiatique est confronté au « cas Pavlenski » et à ce qu’il prétend faire à la politique comme à l’art. Ma théorie c’est qu’il échoue au moins sur ces deux fronts, mais révèle au passage la « chimie » de l’époque, à la manière d’un précipité dans un tube à essai.
Il suffit parfois de savoir lire. En 2016 paraissait l’ouvrage « Le cas Pavlenski. La politique comme art » signé de Piotr Pavlenski lui-même, et paru en traduction chez Louison Editions. Nous l’avions reçu à cette occasion sur France Culture. Et avec le recul, je m’étonne ne pas ne pas m’être fait cette remarque, Pavlenski parlait donc de lui comme d’un « cas » et à la troisième personne. Étrange glissement de distanciation, voire de déréalisation.
Aujourd’hui le débat public ou plutôt le théâtre politico-médiatique est bel et bien confronté à ce « cas Pavlenski » et à ce qu’il prétend faire à la politique comme à l’art. Ma théorie c’est qu’il échoue au moins sur ces deux fronts. Mais il révèle au passage la « chimie » de l’époque, à la manière d’un précipité dans un tube à essai.
Dans l'heure qui a suivi le partage de vidéos à caractère sexuel poussant le candidat La République en Marche, Benjamin Griveaux, à renoncer à sa candidature à la Mairie de Paris, nous apprenions que leur diffusion émanait de l’artiste-performer Piotr Pavlenski. Aujourd’hui davantage présenté comme un activiste et mis en examen.
Piotr Pavlenski pratiquait avant son arrivée en France des performances provocatrices en Russie, dans la lignée d’un art plutôt daté des années 70. Il s’était cousu la bouche en soutien aux Pussy Riot, s’était enroulé dans des barbelés pour protester contre le retour de Poutine au pouvoir, s’était cloué le scrutum sur la place Rouge pour dénoncer le fatalisme de la société russe, ou encore s’était découpé le lobe de l’oreille pour alerter sur le retour de pratiques psychiatriques répressives. Depuis son arrivée en France, ce principe de renvoi de la violence d'un régime politique autoritaire par la mise en scène d’une violence sur son propre corps avait déjà évolué. Incendiant une succursale de la banque de France place de la Bastille pour s’en prendre cette fois, au pouvoir de la finance, Piotr Pavlenski était passé du principe d’automutilation à celui d’un actionnisme visant des biens publics. Aujourd’hui le procédé s’est encore déplacé, puisque la violence s’exerce sur une personne à travers la révélation de sa vie intime. L’interface artistique de l’énonciation a disparu en cours de route.
L'échec artistique : une forme dévoyée de la performance dénonciatrice
Il a beaucoup été dit que ces méthodes relevaient des mêmes procédés que ceux employés par le KGB puis le FSB, les services secrets russes, qu’il a lui-même pourfendus. Mais si on s’en tient au plan artistique, le glissement du protocole Pavlenski montre aussi l’évolution vers une forme dégradée de la performance dénonciatrice. Une « snuffisation » de l’art comme le relevait la chercheuse en art de la scène, Isabelle Barbéris. C’est-à-dire que Pavlenski a poussé la confusion entre l’art et la vie au point de s’attaquer aux personnes pour en faire les « choses » de son dispositif. Dans ce geste, l’art et la représentation se réduisent à l'action politique et n’existent plus en tant que tels. Ce n’est donc plus "la politique comme art" mais la politique tout court. Échec artistique.
L'échec théorique : un front uni avec les réactionnaires
Sur le plan sémantique la fusion s’opère aussi. Pavlenski parle désormais d’« un art politique » qui je cite « agit de l’intérieur de la mécanique du pouvoir et force l’appareil d’Etat à se démasquer ». Mais aucun masque ne tombe, si ce n’est que Pavlenski se retrouve en front uni avec des réactionnaires puritains. Échec théorique.
L'échec politique : un acte vain ?
C’est au contact d’une démocratie comme la nôtre, que le système Pavlenski a muté. Précipité dans la caisse de résonance de messages simplistes qui veulent faire de la France de Macron l’équivalent de la Russie de Poutine. Aussi le gaz assez indésirable provoqué par cette affaire révèle ce que la simplification chaotique de la politique peut faire à l’art. Une simplification et une réduction équivalente de son message. Il en ressort asservi et prisonnier, l'art. Échec politique.
La question est et restera toujours, comme le rappelait l’historien de l’art et commissaire d’exposition Paul Ardenne, à qui profite ce triple échec ?
par Mathilde Serrell
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