Le consentement n’est pas un logo

 Le féminisme comme argument de vente à l'industrie de la mode peut-il se faire sans enjamber une série de contradictions ? Mathilde Serrell vous éclaire sur la question
 Le féminisme comme argument de vente à l'industrie de la mode peut-il se faire sans enjamber une série de contradictions ? Mathilde Serrell vous éclaire sur la question - Service de presse de Dior
Le féminisme comme argument de vente à l'industrie de la mode peut-il se faire sans enjamber une série de contradictions ? Mathilde Serrell vous éclaire sur la question - Service de presse de Dior
Le féminisme comme argument de vente à l'industrie de la mode peut-il se faire sans enjamber une série de contradictions ? Mathilde Serrell vous éclaire sur la question - Service de presse de Dior
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Mode et féminisme forment un vieux couple marketing. Dès les années 60, le mouvement de libération des femmes est récupéré par la publicité pour vendre des produits de consommation. Aujourd'hui, le féminisme sert d’argument de vente à l’industrie de la mode, comme l'a montré le défilé Christian Dior

À combien seront vendus les T-shirts "Consentement" de Dior après le défilé automne-hiver présenté pendant la semaine de la mode à Paris ? Telle est la question. Pas de savoir si le pied de poule fait son retour ou à quelle hauteur se porte la jupe. 

La mode et le féminisme forment un vieux couple marketing. Quand on y pense, les femmes ont toujours servi à vendre, notamment au prétexte de les libérer. Le slogan "Moulinex libère la femme" fait figure de pionnier. Avec cette nuance : il s’agissait de libérer les femmes en les enfermant dans la cuisine. Là, le féminisme sert à les libérer de quelques centaines d’euros.

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Le dernier défilé Dior, rehaussé de slogans contre le patriarcat qui se retrouveront floqués sur les T-shirts de la nouvelle collection, pose quelques questions. Le féminisme peut-il continuer à servir d’argument de vente à cette industrie sans enjamber une série de contradictions ? Ma théorie, c’est qu’il devient de plus en plus difficile de ne pas les voir.

Pour en revenir au dernier défilé Dior, la créatrice Maria Grazia Chiuri, première femme à prendre la direction artistique de cette maison, a toujours fait valoir son engagement féministe. C’était à ce titre qu’elle avait convaincu l’autrice Chimamanda Ngozi Adichie d’afficher sur un T-shirt du défilé printemps-été 2017 le titre de l’une de ses conférences, We should all be feminists (Nous devrions tous être féministes). Commercialisé à 550 euros sur le site de la marque, le fameux T-shirt s’était vite retrouvé en rupture de stock. 

Imaginons que les bénéfices soient versés intégralement à des associations qui œuvrent pour faire avancer ces idées sur le terrain : pourquoi pas ? Et si, dans leur version fast fashion, les dérivés de ce type de T-shirt n’étaient pas fabriqués par des ouvrières sous payées, ça aurait aussi plus de sens. Mais nous n’en sommes pas là.

Pour l’instant l’opération se résume à un principe d’affichage. Ainsi pouvait-on lire au dernier défilé Dior, en lettrage lumineux, une série de slogans "T-shirt-compatibles". "Consentement" donc, mais aussi "Le patriarcat tue l’amour", "Quand les femmes font grève, le monde s'arrête", "Nous sommes toutes clitoridiennes" ou encore "Patriarcat = CO2" et "Patriarcat = urgence climatique". Il fallait y penser bien sûr ! Le combo écologie + féminisme, quoi de plus vendeur ?

Tant pis si la mode est l’une des industries les plus polluantes - plus que le transport aérien et maritime réunis - tant pis si le système consiste à dépenser pour s’émanciper, et tant pis si toutes ses campagnes de pub sont toujours aussi majoritairement stéréotypées.

Bien sûr, il fut un temps où le mot même de féminisme servait de repoussoir et où le mettre en avant dans cet univers avait une fonction symbolique. Bien sûr, il reste l’espace de diffusion et de sensibilisation que représente un défilé estampillé #MeToo par la presse, et la mise en lumière des idées de Clara Lonzi, la féministe italienne des années 1970 dont la créatrice de Dior s’est inspirée. Mais réduire le féminisme à un emballage, un slogan, un argument de vente dans un show qui ne propose aucune révolution formelle, ni aucune autre forme d’engagement, revient à vider le mot de son sens. Et à laisser la mode stagner dans ses paradoxes, comme celui de faire du consentement un logo supplémentaire. Si le féminisme est capable de vendre des T-shirts à 550 euros, cela veut dire qu’il est capable de beaucoup mieux ! 

par Mathilde Serrell

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