

Lorsque l’Italie nous racontait notre futur, nous avions appris avec effroi que les patients étaient triés, faute de pouvoir soigner tout le monde... Dans la crise actuelle de la culture, chacun essaye de ne pas se retrouver dans la situation du malade non prioritaire.
Les uns et les autres agitent leurs bras, à mesure que leurs difficultés respiratoires s’aggravent. Se pose alors cette affreuse question : pour la culture, selon quel critère a-t-on plus de chances d’être sauvé?
Cette tension de survie est palpable, elle se mesure d’une tribune à l’autre, mais aussi d’une croisade dans les médias et les réseaux - pas que sociaux- à une autre.
Appel à l'aide de la culture
Côté tribune, l’impressionnant appel paru dans Le Monde de 625 auteurs, éditeurs et libraires au chef de l’état, est sans détour : « Le livre doit vivre. Sauvez-le » ! Co-signé par de grands noms comme Don DeLillo, Patrick Modiano ou Slavoj Zizek, et de grandes maisons d’édition, il est aussi largement représentatif de la diversité de la chaîne du livre. Il y est question d’ « urgence absolue » et de « grand péril » car le pronostique vital pourrait être engagé sans un plan de relance et de commandes massif « avant l’été ».
Dans le Journal du Dimanche, ce sont les artistes et professionnels de la musique qui se sont largement mobilisés pour sauver la scène française. Tous genres de musiques et toutes générations confondus, des radios aux plateformes de streaming, de la Sacem (la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) aux festivals : tous réclament un plan d’« urgence », pour que ceux et celles qui font la diversité de cette scène puissent tout simplement « continuer à vivre».
Les voyants rouges s’allument partout, l’urgence est généralisée. Dans ce contexte, comment pourrait-on estimer que la vie d’un secteur vaut plus qu’un autre ? Pourtant c’est la crainte et la fébrilité qui gagnent les uns et les autres. Guettant les signaux de priorisations et conscients que tout décalage et tout report dans la prise en charge peut-être fatal.
L'installation d'une rivalité
Alors forcément, dans cette situation extrême, une sorte de rivalité culturelle se met en place dans un mélange explosif de hiérarchie d’importance et d’idéologie.
Pourquoi rouvrir les parcs à thèmes situés en zone verte et maintenir l’interdiction de certains festivals qui peuvent eux aussi organiser une réouverture sécurisée sur le plan sanitaire ? Pourquoi le Puy du fou pourra-t-il accueillera 18 000 personnes par jour et inaugurer son nouveau spectacle ciné-scénique avec masques dés le mois de juin, tandis que le festival d’Avignon a été sacrifié ?
Avant cette décision, c’est le Puy du fou qui prenait la tête de la fronde des parcs de loisirs sur l’air du « pourquoi les zoos et le Mont-Saint-Michel aux rues si étroites et pas nous » ? Après que le fondateur du Puy du fou, le souverainiste Philippe de Villiers, a accusé l’état de l’ « asphyxier » et même de l’ « euthanasier ». Finalement ce sera "oui " au terme d’une stratégie de pressions que détaille une enquête du Monde.
Il n’en fallait pas plus pour que les polémistes de chaque clan se déchirent, pour que l’on oppose une culture à une autre. Une idéologie à une autre. Et même un type de public à un autre.
Au vrai, on se saurait voir se reproduire dans la culture le même scénario de tri que celui des hôpitaux, car tout sentiment de priorisation aura lui aussi des conséquences sur le pacte social.
Mathilde Serrel
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