

« Légendaire » est parfois un qualificatif un peu bradé. Mais concernant le plasticien Christo, dont la mort a été annoncé hier soir à l’âge de 84 ans, on ne saurait tomber plus juste.
La légende se définit comme un récit populaire plus ou moins fabuleux qui survit dans les mémoires. Christo était un artiste qui produisait des légendes. Et depuis l’au-delà, voilà qu’il continue à les écrire.
Son immense projet d’emballage de l’Arc de Triomphe, reporté en septembre 2021, est toujours « sur les rails ». Quant à l’exposition qui lui était consacrée au Centre Pompidou, et dont le montage avait été suspendu pendant la crise sanitaire, elle ouvrira le 1er juillet à Paris.
Après le décès de son épouse en 2009, Jeanne-Claude, avec qui il a co-signé des décennies de projets monumentaux, Christo a prolongé ce geste qui comme il le disait « manipule l’espace public » entre réel et irréel. Il laisse à son tour, le « code-source » de sa prochaine oeuvre ouvert, et la légende de cet arc triomphe entièrement emballé va non seulement lui survivre mais se tisser au-delà de lui. C’est presque une forme d’aboutissement de son art. Après avoir soustrait l’œuvre à toute logique rationnelle, voilà qu’à son tour, elle se soustrait même à l’artiste. Un ultime affranchissement.
Car le point commun de toutes les créations de Christo c’est de déjouer l’impossible, non pas pour sa gloire à lui, mais pour que chacun y fasse l’expérience de la liberté. Voilà ma théorie.
10 ans pour parvenir à l’empaquetage éphémère du Pont-Neuf, 26 pour pourvoir installer 7500 portiques tendus de tissu safran dans Central Park : l’amplitude temporelle qui précède la concrétisation des projets et la brièveté de leur existence échappent à toute tentative de justification. C’est une démonstration de liberté.
Hors temps, hors format, hors circuit, ces sculptures « in situ » (qui se financent notamment par leur dessins préparatoires) ne rentrent dans aucun schémas de commande, ni aucune logique du marché de l’art. C’est ce que rappelait Christo en 1989 sur France Culture, à l'occasion de la rétrospective qui lui était consacrée à Nice.
Pharaoniques mais temporaires, très intenses et très éphémères, les œuvres de Christo ont aussi bouleversé la temporalité de sites pour lesquels elles ont été conçues. Qu’ils s’agissent des monuments (comme avec l’emballement du Reichstag à Berlin en 1995) ou des espaces naturels (comme récemment avec les quais flottants du lac d’Iseo en Lombardie) : soudain l’urgence s’invite dans l’immuable. Une nouvelle mise en relation à l’art et au patrimoine s’invente. Elle ne compte par sur le tangible mais sur le sensible.
Les contes de Christo sont ainsi les légendes d’une précieuse liberté dont la sauvegarde est confiée au public.
Par Mathilde Serrel
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