Paolo Sorrentino, poète de nos icônes pop

Affiche de "The New Pope", série portée par John Malkovich, qui sort ce lundi.
Affiche de "The New Pope", série portée par John Malkovich, qui sort ce lundi. - HBO - Canal
Affiche de "The New Pope", série portée par John Malkovich, qui sort ce lundi. - HBO - Canal
Affiche de "The New Pope", série portée par John Malkovich, qui sort ce lundi. - HBO - Canal
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Dans "The New Pope", suite de "The Young Pope" portée par John Malkovich, le créateur et réalisateur de la série Paolo Sorrentino a choisi une poétique des icônes pop pour nous convertir à la fin des adorations.

Les aventures papales envahissent la fiction. Après le film "Les Deux Papes" sur Netflix qui rejouait l'échange théologique entre Benoit XVI et le cardinal Jorge Mario Bergoglio, futur Pape François, voici la série "The New Pope". Aux arrêts de bus, dans les journaux, sur les réseaux : le pape nouveau est partout. La deuxième saison de la série de papale de Paolo Sorrentino se lance tout juste sur Canal + et fait déjà partie de ces objets culturels qui rencontrent l’époque. 

Comment ? Et pourquoi ? Si de multiples enjeux contemporains y sont abordés, ma théorie c’est qu’il y est avant tout question d’un des grands maux du siècle : notre rapport aux icônes. Car nous sommes "icônophages", adorateurs et dévorateurs d’idoles. Or, comme le dit l’un des personnages, "l_’idolâtrie est le prélude à la guerre"_.

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Pédophilie, montée des populismes, menace terroriste : une série ancrée dans son époque

Trois après "The Young Pope", qui a laissé Lenny Belardo alias Pie XIII dans le coma, place au "New Pope. À première vue, une réflexion sur le pouvoir, le trône de fer devenant ici celui du pape. Mais la bataille qui se livre n’est pas celle qui opposerait le "Young Pope" (Jude Law), qui finit par se réveiller, au "New Pope" (John Malkovich) qui a pris sa place. Comme le résume Sorrentino lui-même, la série explore surtout "l’ambition singulière de ces deux hommes : être oubliés". La vertu de l’oubli dans une époque obsédée par ses idoles est une question fondamentale.

Alors bien sûr "The New Pope" est un objet qui résonne avec l'époque dans sa forme : une série, ou plutôt un grand film de 8 heures découpé en épisodes, qui s’offre une incroyable variété de rythmes narratifs et de registres esthétiques. Et dans son propos, il est en prise direct avec ce qui agite le monde et pas seulement celui de l’Église. Le scandale de la pédophilie, l’hypocrisie sur l’homosexualité et sa pratique au sein de la communauté religieuse, mais aussi la lutte entre fondamentalistes et modérés, la question de l’accueil des migrants, la montée des populismes, et la menace du terrorisme islamiste. Pour ne citer que quelques-uns de ces marqueurs contemporains.

Une interrogation des codes et des idoles pop

Seulement, comme l’homophonie du titre l’indique, Paolo Sorrentino a fait du « Pope » une figure pop, et ce qui percute l’époque, c’est qu’à travers ce traitement, elle interroge notre rapport à la grand-messe des images et à la célébration des icônes. 

Lenny Belardo, alias Pie XIII, était déjà ce pape pop qui cite Banksy et Daft Punk, tandis qu'on le retrouve, allongé sur son lit dans le coma sous une grande croix rouge électrifiée digne d’un concert du groupe Justice. La bande-annonce le montre, musclé, en slip blanc, défilant sur une plage peuplée d’adoratrices. Et régulièrement, la série présente les fans irréductibles du jeune pape, rassemblés en veillée, arborant des sweat-shirts à son effigie, façon produits dérivés du nouveau saint du rap, Kanye West. Quant à la bande-son, notamment celle du générique, elle fait muter les séquences aux frontières hybrides du clip et du défilé de mode.

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Mais ces codes pop ne sont pas là pour décaler leur objet - une série sur le Vatican - ils servent le propos de Sorrentino. A savoir interroger notre rapport idolâtre. Cette soumission/fascination devant la grandeur supposée d’autres hommes ou d’autres femmes qui nous empêche de voir l’humanité telle qu’elle est. C’est-à-dire charnelle et impure, faite de noirceurs et de secrets. Ce n’est pas un hasard si l’un des épisodes montre une soi-disant sainte incarnée par Ludivine Sagnier vendre son histoire de révélation pour la énième fois aux caméras contre 200 euros.

Sorrentino a choisi une poétique des icônes pop pour nous convertir à la fin des adorations. Amen.

par Mathilde Serrell