Quand Simone Jacob parle de Simone Veil

Simone Veil ministre de la santé (1974)
Simone Veil ministre de la santé (1974) ©AFP
Simone Veil ministre de la santé (1974) ©AFP
Simone Veil ministre de la santé (1974) ©AFP
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Recueillie à travers des années d’échanges enregistrés par le cinéaste David Teboul, cette voix pourtant célèbre n'avait encore jamais été entendue.Elle nous envoie un message qui revient sans cesse en filigrane : comment lutter face à l’incrédulité ?

« Merci Simone ». Ces mots, lus et entendus dans toutes les manifestations féministes, sont ceux qui viennent spontanément au cœur en refermant le livre d’entretiens inédits de Simone Veil avec le cinéaste David Teboul, récemment publié aux éditions Les Arènes. 

Ce  « Merci » s’adresse à la Simone Veil qui a porté la loi du 17 janvier 1975 encadrant la dépénalisation de l'avortement en France. Il pourrait aussi s'adresser à l'auteure matricielle du "Deuxième Sexe" Simone de Beauvoir. Mais c’est encore une autre Simone qui apparaît dans ces pages. Ma théorie c’est qu’il faudra désormais compter avec elle. Et cette Simone là, c’est Simone Jacob. 

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Sa voix, qui nous était en réalité méconnue, se fait soudain entendre. L’ouvrage s’intitule bien « Simone Veil, l’aube à Birkenau », mais sa force est de nous donner à lire la parole de Simone Veil née Jacob, arrêtée puis déportée au lendemain de son baccalauréat, en 1944, lorsqu’elle avait 16 ans. 

Ce n’est ni la voix de l’autobiographique « Une Vie », ses mémoires publiées en 2007, ni la voix des enregistrements ou entretiens officiels que nous connaissions : c’est la voix d’une femme qui nous parle au « je » de la jeune fille déportée qu’elle a été.

Et pourquoi ce prisme change tout ? Recueillie à travers des années d’échanges, et 50 heures de discussions enregistrées par David Teboul, cette voix donnée à lire est une parole directe avec laquelle nous entrons en intimité. Et depuis cette intimité, Simone Jacob nous envoie un message qui revient sans cesse en filigrane : comment lutter face à l’incrédulité ?

Si l’on évoque la cause des femmes, cette incrédulité, Simone Jacob devenue Veil, en a fait les frais. Alors que sa popularité grimpe dans les années 70, elle suscite aussi l’agacement. Il faudra bien que cette ascension s’arrête un jour, n’est-ce pas ? Simone se souvient que l’on parle d’elle de manière peu amène, et le rapporte ainsi : « De toute façon, Simone Veil est une gourde qui ne sait pas s’exprimer, qui ne termine pas ses phrases et qui ne connaît rien à rien. Elle a eu de la chance, elle sait émouvoir, pleurer en public, c’est la seule chose qu’elle sache faire… »

L’incrédulité c’est aussi et surtout, celle à laquelle elle va devoir se mesurer dans le récit qui sera fait des camps. Comment dire l’inimaginable ? Comment faire entendre la spécificité de cette entreprise mécanique de déshumanisation ? 

Comment expliquer, entre autres, que la solidarité dans les camps de concentration était en partie un mythe, les déportés étant réduits chaque jour à côtoyer la bestialité, et l’horreur de rivalités quasi-animales ?

L’incrédulité, enfin c’est cette ombre qui la poursuit. Pourquoi, la jeune fille de 16 ans qu’elle était, n’avait-elle pas entrevu ce qui se préparait lors son arrestation à Nice ? Pourquoi tant de juifs se sont-ils conformés aux demandes de l’administration française avant d’être pris dans la nasse et emportés vers la mort ? Pourquoi, lorsque les kapos lui annoncent que les autres membres de son convoi sont « partis en fumée », ne peut-elle croire une chose pareille ?

Si la voix intime et directe de Simone Jacob/Veil est aujourd’hui aussi bouleversante que nécessaire, c’est parce qu’elle porte une parole sans calcul, qui nous force, par la puissance des mots, à se confronter à l’indicible.

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