Que signifie un "Me Too" littéraire ?

L'écrivaine Vanessa Springora en janvier 2020
L'écrivaine Vanessa Springora en janvier 2020 ©Maxppp - ARNAUD DUMONTIER
L'écrivaine Vanessa Springora en janvier 2020 ©Maxppp - ARNAUD DUMONTIER
L'écrivaine Vanessa Springora en janvier 2020 ©Maxppp - ARNAUD DUMONTIER
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Cette prise de parole et de conscience pointe la singularité d'un milieu, quelle est-elle? Ma théorie c'est que cette question nous amène à examiner plus largement les rapports entre réel et fiction.

Dans la langue du XXIème siècle on appelle ça « faire son MeToo ». Ce n’est peut-être pas la meilleure formule, mais l’expression désigne ce moment où la parole se libère dans un secteur, et brise l’omerta sur les violences sexuelles et sexistes. Après le cinéma et la musique, entre autres, c’est le milieu littéraire qui vient de se faire entendre. 

« L’ère du silence est terminée » concluent des auteurs, comme Olivier Adam, des autrices, comme Leonora Miano, mais aussi des éditrices et des journalistes, dans une tribune parue hier chez nos confrères de France Info. 

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Si cette prise de parole et de conscience pointe la spécificité d’un milieu, elle amène plus largement une réflexion sur les rapports entre réel et fiction : c’est ma théorie.

L'onde de choc de l'affaire Matzneff

Bien sûr cette tribune, et l’enquête qui l’accompagne, apparaissent dans le sillage du choc provoqué par le livre de Vanessa Springora, paru à l’orée 2020. Elle y a montré l’entreprise de prédation sexuelle et littéraire dont elle a été l’objet dans sa relation avec l’écrivain Gabriel Matzneff lorsqu’elle avait 14 ans et lui 50. Mais aussi le consentement de toute une caste culturelle à l’égard d’un homme qui revendiquait, dans ses livres et dans sa vie, sa chasse aux « Moins de 16 ans ».

Le récit du point de vue de la proie ouvrait soudain les yeux sur ses abus, pourtant connus, et nous confrontait aux différents mécanismes, complexes, de cette cécité. 

Aujourd’hui, au-delà du récit de Vanessa Springora, c’est la question d’un milieu jugé plus largement poreux au harcèlement et aux agressions sexuelles_,_ qui vient au centre. Sacralisation de l’auteur, rapports de dominations marécageux, précarité, rencontres hors cadre, impunité des puissants qui écrivent, éditent ou commentent des livres. « Ces petits maîtres que le doute n'effleure pas, sûrs de leur bon droit, ce droit de cuissage revisité à l'aune du délire économique de notre époque » écrivent les signataires de la tribune.

Quelles spécificités du milieu littéraire ?

Dans de nombreux secteurs ont été mises à jour des causes structurelles, plus ou moins équivalentes, produisant les mêmes effets de silence et de violence. Il faut donc aller chercher où se tient cette spécificité du milieu littéraire.

Signes des temps
45 min

Au Québec, où Vanessa Springora publie actuellement son livre, on fera valoir la spécificité d’une culture française qui place la littérature au-dessus de tout. Mais, comme le fait l’un des passages de la tribune, pourquoi ne pas creuser aussi la piste d’un monde « où se mêlent sans arrêt fiction et réalité » ?

Un autre texte paru quasiment en même temps, cette fois sur le site de Livres Hebdo, et signé d’un prospectiviste littéraire, Lorenzo Soccavo, interroge notre rapport aux métalepses. À savoir ces figures de rhétorique qui vont opérer un léger glissement entre les frontières du réel et de la fiction. Une traversée du miroir en somme, qui existe dans les livres mais qui opère aussi parfois dans la vie. 

Or dans un cadre où tout devient « chaire à écrire », la situation réelle pourra insidieusement être envisagée sur un mode fictionnel. On s’autorise alors à importer dans la vie, les lois de la fiction. Aussi la spécificité des milieux qui fabriquent de la fiction pourrait tenir, entre autres, dans cette propension à la déréalisation chez les "Don Juan à la braguette molle" (comme les surnomme la tribune). Un facteur qui renforce leur sentiment de toute puissance. C’est un arrière-plan, un contexte, et pas une caractéristique générale. Pour autant, cela peut amener à fendre le piège.  

par Mathilde Serrell

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