Imaginez qu’on ne connaisse Honoré de Balzac qu’à travers deux des 90 ouvrages qui constituent la Comédie Humaine ? C’est un peu ce qui s’est passé avec l’écrivain anglais John R.R. Tolkien.
Si la connaissance que nous avons de Tolkien se résume encore essentiellement aux aventures d’un Hobbit aux grandes oreilles, et au monologue schizophrène d’un Gollum obsédé par son "précieux", Le Hobbit, publié en 1937, et Le Seigneur des anneaux, publié entre 1954 et 1955, ne sont que la partie émergée d'une œuvre-monde.
Ma théorie, c’est que Tolkien a été englouti sous ses formes dérivatives. Aussi, l’exposition qui s’ouvre aujourd’hui à la BNF à Paris, est non seulement la première de cette ampleur en France, mais le moyen d’en finir avec le syndrome de l’homme qui a vu l’homme.
Car si nous commençons tout juste à connaître l’ensemble de l’œuvre de Tolkien, elle est précédée par des adaptations parcellaires qui l’ont en quelque sorte recouverte avant même qu’elle émerge aux yeux du grand public. Pour continuer dans les comparaisons c’est un peu comme si l’Odyssée d’Homère était essentiellement connue pour l’adaptation au cinéma de l’épisode d’Ulysse au pays des cyclopes !
Entre Le Seigneur des anneaux, la trilogie du cinéaste Peter Jackson au début des années 2000, et bientôt, la série la plus chère de l’Histoire sur Amazon, qui puisera dans l’univers mythologique tolkinesque en le formatant aux attentes d’une saga grand spectacle : l’œuvre de Tolkien risque encore d’être mangée par son ombre.
Or comme le montre l’exposition « Tolkien, voyage en terre du milieu » le temps de l’intrigue du Hobbit par exemple ne se déroule que sur deux années, (2941 et 2942) prises dans l’immense récit imaginé par ce grand philologue et théoricien littéraire médiéviste d’Oxford. Quant à l’intrigue du Seigneur des anneaux elle couvre seulement la période 3001 à 3019. Tout autour, il y a un monde. Il s’étend du Premier âge, sorte d’an 1 avec l’éveil des Hommes dans l’Est de la terre du milieu, à la fin du 3ème âge en 3019, puis l’avènement d’un quatrième âge sur un peu plus d’un siècle. Cette œuvre colossale s’étend donc sur plus de trois millénaires et constitue un tout cohérent que Tolkien appelle son « Légendaire ».
Pour apprécier la géographie, la cosmogonie, la linguistique, l’histoire, ou encore la botanique, entièrement inventées par Tolkien dans cet univers parallèle, il faut pouvoir mesurer la cohérence de tous ces éléments.
L’exposition de la BNF constitue en ce sens une introduction à l’arborescence, de Tolkien, sorte de guide pour préparer votre grand voyage de lecteur dans la mythologie de la Terre du Milieu.
Le document original de l’arbre des langues permet, entre autres, de mesurer la puissance de cette pensée systémique. À partir d’une première langue-source, le Valarin, Tolkien va imaginer toutes les langues qui se sont formées au fil des âges et à travers les peuples dans la Terre du Milieu. Il disait d’ailleurs qu’il avait créé un monde pour ses langues, et pas des langues pour son monde.
S’il est important de connaître Tolkien aujourd’hui à la source et pas au travers de ses adaptations ou d’une forme « dégradée » du genre de la Fantasy (à laquelle il préférait le nom de Romance), c’est parce qu’il avait trouvé comme Homère ou Balzac, la fiction capable de décrire au mieux notre monde réel. « Les roues du monde sont actionnées par les petites mains pendant que les grands regardent ailleurs » est l’enseignement le plus capital de son œuvre disait-il. Observer tous les petits rouages imaginés par Tolkien c’est comprendre ce qui nous commande.
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