

Après la cérémonie des Golden Globes le 6 janvier, la liste des prétendants aux Oscars vient d'être dévoilée : Joker, Parasite, Les Misérables, Once Upon a Time... in Hollywood, cette sélection peut être lue comme un bulletin météorologique du champ cinématographique américain, mais aussi français.
C’est la saison des prix dans le cinéma, et le relevé des nominations et des récompenses ressemble à un enchaînement de bulletins météorologiques. Tous scrupuleusement analysés pour y déceler les tendances atmosphériques du 7e art. Après la remise des Golden Globes et la sélection des BAFTA, la liste des prétendants aux Oscars a été dévoilée. Plusieurs horizons se dessinent alors…
Avec onze nominations pour Joker de Todd Phillips, et dix pour The Irishman de Martin Scorsese comme pour Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino, il est certes apparu que des films d’hommes sur des hommes avaient pris le dessus. Quant à la place de la diversité elle se montre en recul par rapport à l’année dernière. Même si la nomination de Parasite du sud-coréen Bong Joon-ho, dans les catégories reines du meilleur film et du meilleur réalisateur, marque une ouverture.
Mais au-delà de ces critères, ma théorie c’est que cette sélection fait apparaître d’autres phénomènes climatiques du champ cinématographique. À la fois l’importance de la violence sociale et du méta-cinéma, mais aussi l’évolution du statut des films français.
D’abord la charge explosive qui sourd dans les différentes structures sociales se retrouve à la fois au cœur de Joker, de Parasite mais aussi des Misérables, le film français qui va concourir dans la catégorie « long-métrage international ». Quant à la dimension que je qualifie de « méta-cinéma », elle se manifeste dans l’élection de deux grandes fresques réflexives : Once Upon a Time… in Hollywood et The Irishman. Deux films qui se retournent sur l’histoire du cinéma et son l’évolution.
Bref, dans un monde où grondent les orages sociaux, le cinéma se branche sur secteur ou choisit de se réfugier dans son propre récit.
Venons-en maintenant au statut des films français. Il me semble que la sélection des "Misérables" de Ladj Ly pour représenter la France révèle une évolution dans la perception du "french movie".
Bien sûr, cela fait longtemps que nous sommes loin des visions sépia du Paris enchanté d’Amélie Poulain, nommé en 2002. Un prophète de Jacques Audiard, nommé aux Oscars en 2002, ou Mustang de Deniz Gamze Ergüven sélectionné en 2016, ont montré déjà une autre face du cinéma français.
Mais comme le trahissait le sacre de The Artist en 2012, dans les catégories meilleur film et meilleur acteur, c’est souvent lorsque le cinéma français parle de l’Amérique et d’Hollywood qu’il a le plus de chance de retenir l’attention.
Avec Les Misérables, Ladj Ly a certes pu compter sur le passeport de sa référence à Victor Hugo, assurément américano-compatible dans un pays dingo de Notre-Dame. Mais comme l’ont souligné les critiques outre-Atlantique, il y est peu question d’Hugo… En revanche, si le film a été si bien accueilli par la presse américaine, et qu’il se retrouve aux Oscars, c’est en partie parce qu’il fait le pont avec des sujets qui travaillent l’Amérique : la misère dans les ghettos noirs, et la question des violences policières.
De plus, Ladj Ly le fait avec des codes qui empruntent au vocabulaire cinématographique américain : Spike Lee et son Do the Right Thing, Katherine Bigelow et son film sur les émeutes de Détroit, ou encore la référence au grand totem des séries The Wire de David Simon qui ausculté la délinquance dans les quartiers défavorisés.
Un film français au regard internationalisé (ou américanisé pour être exacte) et qui touche à des problématiques sœurs, voilà une nouvelle donne pour le french movie. Et assurément un nouveau vent sur le marché. J'ajoute à cette "météo" que la place pacificatrice accordée aux frères musulmans dans le film de Ladj Li risque de lui valoir quelques précipitations dans le cadre d'une campagne pour les Oscars…
par Mathilde Serrell
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