Rentrée scolaire inédite, sous le signe de la distanciation sociale et du port du masque en classe. Et si c'était l'occasion de faire l'école dans la nature ?
Dans la cour de mon école, il y avait un marronnier, dont la principale fonction était de nous fournir des projectiles pendant la récréation. De mémoire, il n’y avait pas d’autre arbre, ni la moindre autre espèce ayant recours à la photosynthèse. Tout le reste avait la couleur du béton.
Je suis repassé devant il n’y a pas longtemps. L’école a changé de nom mais pas de décor : comme la plupart des établissements scolaires, l’architecture est y avant tout fonctionnelle, un avant-goût grisâtre des leçons de géométrie.
Est-ce parce l’école a été conçue comme un moyen d’arracher les élèves à leur condition et de les civiliser qu’elle s’est à ce point coupée de la nature ? Toujours est-il qu’en cette rentrée 2020, et alors que l’épidémie de coronavirus pose de manière évidente la question de la promiscuité en classes, l’idée de mettre au vert l’institution scolaire prend une certaine force.
Pourquoi ne pas faire classe dehors ? Mieux que dehors : dans l’herbe ou au milieu des bois. C’est ce qui se fait dans de nombreux pays européens, notamment scandinaves, et à en croire les défenseurs de ce système, les élèves ne s’en portent que mieux.
Le Danemark compte ainsi aujourd’hui 700 écoles maternelles en forêt. La première a été ouverte en 1952, dans la banlieue de Copenhague. Les enfants y passent la majeure partie de leur journée à l’extérieur, à ‘’observer les orties à la loupe, grimper sur un rocher, fabriquer des colliers de pâquerettes, construire des cabanes’’ comme le racontent Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne dans leur livre-enquête ‘’L’enfant dans la nature’’, publié l’an dernier chez Fayard.
Outre que ce système a l’avantage d’être plus économe en infrastructures, il aurait pour effet de favoriser le développement des enfants. Les auteurs du livre citent de nombreuses études selon lesquelles un élève plongé dans un bain de verdure sera plus créatif, plus concentré, moins stressé, moins souvent malade et donc plus apte à apprendre. Cela aurait aussi pour vertu de calmer les enseignants, ce qui, rétrospectivement, me fait regretter de ne pas avoir eu cours sous le marronnier de mon école, notre instituteur ayant alors une fâcheuse tendance à distribuer des châtaignes.
Une étude menée par l’Université de Hasselt en Belgique auprès de 600 enfants âgés de 10 à 15 ans va même jusqu’à prétendre que ceux qui grandissent dans un environnement urbain fortement végétalisé ont un QI plus élevé. Méfions-nous néanmoins de ces corrélations parfois hasardeuses (dont l’hydroxychloroquine nous a fourni quelques exemples fumeux).
Dans un article pour The Conversation, le spécialiste en sciences de l’éducation Sylvain Wagnon rappelle que ‘’depuis Jean-Jacques Rousseau, les réformateurs de l’éducation ont souligné l’importance de la nature dans le développement harmonieux des enfants. Les pédagogues de l’éducation nouvelle du début du XXe siècle comme Freinet ont théorisé cette école de la vie où il convient de sortir de la classe pour observer, expérimenter et comprendre.’’
L’école dans la nature, ou dans la forêt, reste pourtant à un niveau embryonnaire en France, alors qu’elle se développe chez nos voisins. Dans tous les cas, il s’agit d’expériences alternatives ( liste non exhaustive ici)), en marge du système.
Si la rigidité de l’institution est sans doute en cause, l’historien de l’éducation Claude Lelièvre ajoute ceci : ‘’dans un monde de plus en plus sécuritaire, on prend le moins de risques possibles…Les enseignants vont hésiter avant de décider de sortir. Parce que dehors, il y a toujours un risque supplémentaire. Dans la nature, on maîtrise toujours moins qu’à l’intérieur’’.
Mais je retiendrai pour ma part, comme élément d’explication, cet autre témoignage tiré du livre de Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne. Comme ils l’expliquent, les enfants des écoles en forêt sont un peu crasseux, ils pataugent dans la gadoue, se roulent dans l’herbe. Or, comme le fait remarquer aux auteurs une historienne danoise de l’éducation : ‘’Ici, depuis les années 60, les enfants ont des vêtements d’enfants. En France, les enfants sont habillés comme des adultes en miniature. Impossible de vraiment jouer dans ces conditions. C'est dommage. On les prive un peu d'enfance.''
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