Pour respecter les objectifs climatiques, le transport aérien va devoir s'adapter. Les usagers aussi.
Quiconque a un jour pris l’avion en classe éco, voire sur un vol low-cost, sait ce que signifie l’infiniment petit : c’est l’écart qui sépare l’extrémité de vos genoux du siège du passager devant vous ; c’est la largeur de l’accoudoir que votre voisin considère comme faisant partie de son espace vital. Dès lors, vous vous jurez de réussir dans la vie pour gagner des centimètres lors de vos prochains voyages.
Et bien tous vos efforts d’ascension sociale seront peut-être vains si le transport aérien mène à bien sa transition écologique. Car pour réduire le bilan carbone des avions, une des solutions serait de les remplir davantage, d’optimiser encore plus l’espace intérieur, selon le principe qu’un seul appareil qui vole avec 200 passagers polluera toujours moins que 2 appareils avec 100 passagers chacun.
Voilà une des nombreuses pistes évoquées par le think tank The Shift project, dans son tout dernier rapport consacré à l’avenir de l’aviation. Un de ses constats est donc le suivant : eu égard à la superficie qu’il occupe, un passager de classe affaires brûle de 50 à 100 litres de carburant de plus par heure qu’un passager de classe économique. Remplir davantage les avions aurait pour effet d’atténuer la répartition très inégalitaire de l’empreinte carbone des passagers.
Ce qui se joue en cabine est encore plus flagrant à l’échelle de l’ensemble de la population. Le transport aérien est très inégalitaire : 40 % des Français n’ont jamais pris l’avion, tandis que 5 % émettent à eux seuls la moitié des émissions de gaz à effet de serre liées à ce mode de déplacement. Comme le note le rapport, la baisse des prix ‘’n’a ouvert que très peu, en pratique, les voyages aux catégories sociales modestes, mais elle a permis aux catégories aisées de multiplier les voyages de courte durée’’.
Le plus absurde, écologiquement parlant, c’est que plus vous volez, plus vous accumulez des miles (c’est à dire des kilomètres gratuits), et donc plus vous avez la possibilité de faire de nouveaux voyages à moindre prix pour votre porte-monnaie, mais avec un coût environnemental aggravé. Le système des miles amplifie la pollution de ceux qui polluent déjà le plus : les compagnies aériennes seraient bien inspirées, si elles entendent jouer le jeu de la transition écologique, de supprimer ce type de gratification.
Ce qui est intéressant avec le rapport du Shift Project, c’est qu’il n’est pas dogmatique : il ne s’agit pas de vouloir la fin du transport aérien au nom de la lutte contre le changement climatique. Ce serait absurde d’ailleurs que d’imaginer désinventer quelque chose qui existe déjà, et qui par ailleurs est une formidable invention.
L’approche se veut avant tout méthodique : on sait qu’il faut limiter la hausse des températures à 2 degrés d’ici la fin du siècle ; on sait que le transport aérien contribue à hauteur de 2,56 % aux émissions de CO2 ; dès lors, de quel budget carbone dispose ce secteur jusqu’en 2100 pour tenir cet objectif ? ; et quelles sont, en conséquence, les mesures à prendre pour l’atteindre ?
Parmi ces mesures, il y a bien sûr les innovations technologiques, comme le très porteur d’espoir avion à hydrogène. Ou bien les solutions plus mécaniques, comme le fait de revoir les trajectoires pour moins consommer en vol. Mais ce qui m’a le plus intéressé, ce sont celles qui impactent les usagers. Comme par exemple celle-ci : une taxation progressive des billets, calquée sur le principe de l’impôt sur le revenu, qui fait que plus vous volez, plus cela vous revient cher au kilomètre (contrairement à cet absurde système des miles)
Encore plus audacieux : une refonte des périodes de congés. Plutôt que de disséminer des petits bouts de vacances tout au long de l’année -ce qui encourage à prendre souvent l’avion- pourquoi ne pas les regrouper davantage, de façon à ce que ceux qui le prennent partent plus longtemps mais moins souvent, donc en polluant moins ?
Au fond, ce que montre bien le rapport du Shift project (dont je ne vous ai livré qu’une toute petite partie), c’est que le transport aérien n’est pas incompatible en soi avec la préservation du climat. Encore faut-il que ceux qui prennent l’avion en acceptent l’idée...et les efforts qui vont avec.
L'équipe
- Production