Australie, ceci n'est pas un film

l'Australie ?
l'Australie ? ©Getty - Laurent Sauvel
l'Australie ? ©Getty - Laurent Sauvel
l'Australie ? ©Getty - Laurent Sauvel
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Depuis le début de la ‘saison’ des incendies en Australie, 6 millions d’hectares de végétation ont brûlé et les pertes animales sont estimées à un demi-milliard : nous sommes entrés dans le Pyrocène.

Depuis son point le plus septentrional jusqu’à son extrémité la plus au sud, l’Australie mesure 3 680 kilomètres. Elle est encore plus étendue dans sa largeur, environ 4 000 kilomètres. En décalquant cet énorme bloc et en le superposant à la surface de l’Europe, on se rend compte que le continent australien recouvre et absorbe toute l’Union européenne, qu’il déborde même largement sur son flanc est.

La comparaison est encore plus spectaculaire — et devient effrayante — si l’on choisit de prendre pour modèle la carte des incendies publiée avant-hier sur Instagram par un photographe australien. A partir de relevés effectués par la Nasa, Anthony Hearsey a recréé une image, qui recense l’ensemble des zones touchées par les feux depuis un mois. Comme si l’Europe toute entière était la proie des flammes.

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Le procédé est certes trompeur puisqu’il additionne, sur le même cliché, des incendies déjà éteints avec ceux encore en cours. Par ailleurs, le choix des couleurs rend le visuel particulièrement angoissant : à l’orange éclatant des incendies répond le noir inquiétant du reste du pays, un noir charbonneux, comme si tout ce qui ne brûlait pas était déjà consumé. On croirait voir un pays en cendres, une reproduction du Mordor, ce "pays noir", terre de désolation imaginée par Tolkien dans Le Seigneur des anneaux.

Les images qui viennent d’Australie nous frappent d’autant plus qu’elles renvoient à des représentations que seule la fiction semblait pouvoir incarner. Dans le New York Times, le romancier australien Richard Flanagan y voit ‘’un croisement entre Mad Max et Le dernier rivage’’ (une dystopie sur la vie après une catastrophe nucléaire). Les photos des incendies lui rappellent ‘’des tableaux presque médiévaux, mi Brugel, mi Bosch’’ dans lesquels ‘’le jour se transforme en nuit’’, et où ‘’la lueur rouge annonce l’imminence de l’enfer’’.

Les photos prennent un aspect sépia du fait de la poussière des incendies, elles en deviennent presque irrespirables. Dans une interview au site Reporterre, la philosophe Joëlle Zask, auteure de ‘’Quand la forêt brûle’’, relève qu’en Nouvelle-Zélande, les glaciers ont pris une couleur caramel à cause de la cendre des foyers australiens.

Si les feux des derniers mois en Amazonie avaient suscité une forte émotion internationale au prétexte que c’était le poumon de la planète qui était en train d’être dévasté, il me semble que ce qui se passe en Australie renvoie à une autre angoisse : un ‘’air de fin du monde’’ pour reprendre un des titres de Libération, une frayeur d’autant plus forte que les flammes qui ont dévoré le ciel encerclent et piègent ceux qui tentent de leur échapper. Rappelons que le pays, malgré ses dimensions, reste une île.

Joëlle Zask, toujours dans Reporterre, confie que les incendies australiens vont "au-delà’’ de tout ce qu’elle a pu imaginer : ‘’On voit un pays partir en fumée. On estime qu’en 2050, 50 % des municipalités françaises seront exposées aux méga feux. Nous ne vivons pas seulement dans l’Anthropocène mais dans le Pyrocène’’ : une nouvelle et dévastatrice ère du feu.

Une controverse a vu le jour pour savoir si les incendies australiens étaient directement liés au réchauffement climatique, ou bien favorisés par de nouvelles règles environnementales conduisant à ne pas entretenir le bush (ce mélange de buissons et d’arbres épars) pour préserver la biodiversité. Ce qui est certain, c’est que sans les températures extrêmes que connaît l’Australie en ce moment, les feux ne seraient pas aussi violents ; et que par ailleurs, la disparition de la végétation et d’une partie de la biodiversité va accélérer le phénomène de réchauffement. C’est un cercle vicieux, le pays est comme une nasse. Il va falloir vivre avec les feux.

Dans son article pour le _New York Time_s, Richard Flanagan relève qu’en Nouvelle-Galles du Sud, un des états australiens les plus touchés par les incendies, une librairie a changé son enseigne. On peut y lire ceci : ‘’les romans de fiction post-apocalyptiques se trouvent désormais au rayon actualités’’.

par Hervé Gardette

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