Baisse la jauge, Céline !

tabernacle, il n'y a que 5 000 personnes, si j'avais su...
tabernacle, il n'y a que 5 000 personnes, si j'avais su... ©Getty - Brian Rasic
tabernacle, il n'y a que 5 000 personnes, si j'avais su... ©Getty - Brian Rasic
tabernacle, il n'y a que 5 000 personnes, si j'avais su... ©Getty - Brian Rasic
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La vie culturelle s’apprête à reprendre son cours. Retour des festivals. Mais tout doit-il redémarrer comme avant ?

Avouez que ça a été un choc lorsque vous avez appris, en février dernier, que Céline Dion ne passerait pas cet été par Carhaix, dans le Finistère. La diva canadienne devait se produire aux Vieilles Charrues le 15 juillet : concert reporté pour cause de restrictions sanitaires.

Non pas que la manifestation a été annulée : elle aura bien lieu. Mais dans une configuration inédite, à savoir sur une dizaine de soirées plutôt que sur 4 jours comme c’était le cas jusqu’à présent. Un étalement dans le temps afin de respecter les critères édictés par les autorités, à savoir une jauge de 4 m² par festivalier et un maximum de 5000 spectateurs, le tout laissé à l’appréciation du préfet. En temps normal, les Vieilles Charrues, 1er festival de France par sa fréquentation, accueillent une moyenne de 50 000 personnes par jour.

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La jauge a donc été considérablement réduite cette année. Or on ne fait pas venir une artiste comme Céline Dion pour si peu. Lorsque la chanteuse se déplace, c’est un grand barnum et un gros cachet : il faut du monde, beaucoup de monde, pour rentabiliser un tel événement, d’autant plus exceptionnel qu’il est rare. Et ce qui vaut pour Céline vaut de la même manière pour les grandes stars internationales de la musique, qui savent monnayer leurs déplacements.

Ce gigantisme a un coût, et pas seulement pour les organisateurs et les spectateurs. L’impact environnemental du spectacle vivant est d’autant plus important qu’il nécessite d’importants déploiements de moyens. C’est un des chapitres du dernier rapport publié par The Shift Project : ‘’Décarbonons la Culture’’.

Je vous ai déjà parlé de ce think-tank. Il réalise un travail remarquable en écrivant, chapitre après chapitre, un ‘’Plan de transformation de l’économie française’’ au regard de la nécessaire baisse des émissions de gaz à effet de serre.Cette fois-ci, c’est donc le secteur culturel qui fait l’objet de son expertise, et notamment les Grands festivals.

Quel est le constat ? Et bien que plus la notoriété d’un festival est importante à l’international, plus il va drainer un public qui vient de loin, plus celui-ci va avoir tendance à utiliser l’avion. Ainsi, ‘’l’impact de 3 % de spectateurs venant’’ par les airs ‘’est près de 2 fois supérieur à celui de 50 % de festivaliers venant en voiture’’.

Si le transport est le poste qui pèse le plus dans le budget carbone d’un festival (que ce soit pour acheminer le public, les artistes et leur logistique), ce n’est pas le seul. Prenez les sandwiches : s’ils sont sans viande, l’impact environnemental est moindre que s’ils sont avec. Idem pour la bière, selon qu’elle est produite localement ou importée d’un pays tiers. Et ce n’est pas un détail : le Hell Fest, autre grand festival, en a distribué 440 000 litres en 2019.

Il y a différentes façons de jouer sur ces différents postes pour diminuer le bilan carbone des grands raouts musicaux. Par exemple en encourageant le covoiturage, en organisant les événements à proximité des réseaux de transports en commun. Mais le levier le plus disruptif consiste à baisser les jauges (nous y revoilà).

Autrement dit revenir à des festivals plus modestes, alors que la tendance actuelle court après le gigantisme : ‘’les festivals augmentent chaque année leur jauge, qu’ils doivent remplir en faisant venir du public toujours plus lointain, public qui ne se déplace qu’à la venue de stars internationales, stars qui exigent des cachets croissants...cachets croissants qui obligent les festivals à augmenter leurs jauges’’ : véritable cercle vicieux.

Or, ajoute The Shift Project, ‘’diviser la taille d’un festival par 10 divise ses émissions par 30, essentiellement à cause de la réduction des distances parcourues’’. Suivre cette voie suppose d’opérer une petite révolution culturelle, de miser davantage sur les artistes locaux, de mettre fin aux clauses d’exclusivité territoriale qui empêchent les artistes internationaux de se produire dans plusieurs lieux sur un même territoire. Car ‘’plus le secteur de la culture sera décarboné, plus il pourra se développer et prendre une place importante dans nos vies’’

Si bien qu’à notre chanteuse québecoise préférée, qui viendra finalement aux Vieilles Charrues en juillet 2023, on est tenté de souffler à l’oreille : baisse la jauge, Céline !

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