Parler à une enceinte connectée ou parler à une personne masquée, n'est-ce pas plus ou moins la même chose ?
Imaginez que je lise ma chronique en dé-ta-chant cha-que sy-lla-be de ce-tte ma-niè-re. Avouez que ce serait pé-ni-ble. N’est-ce pas ? Ce serait bien pire encore si toutes nos conversations devaient prendre cette tournure, transformant nos cordes vocales en stroboscopes. Et bien voilà pourtant ce qui nous pend au nez sous l’effet conjugué du Covid et de l’intelligence artificielle.
Il faut d’abord que je vous raconte ma toute première rencontre avec une enceinte connectée. Moment particulièrement gênant. Autant il nous arrive de parler à certains humains comme à des robots, autant parler à des robots comme s’il s’agissait d’humains a quelque chose de ridicule. De ridicule, d’intimidant et d’impudique puisqu’il s’agit d’entrer en intimité avec une machine.
J’étais seul. Je me suis lancé, à la manière du jeune garçon dans ‘’Un été 42’’ lorsqu’il va acheter des préservatifs à la pharmacie. ‘’Ok Google je voudrais écouter France Culture’’. Les mots y étaient, mais pas l’intonation, manque d’assurance, manque de volume, mauvaise articulation, trop de précipitation : pas de réponse. J’ai dû m’y reprendre à trois fois ‘’Fran-Ce Cul-Tu-Re’’ pour qu’enfin la grosse boule de plastique daigne répondre à ma demande.
Il parait que les derniers modèles d’enceintes sont beaucoup plus sensibles, capables désormais de reconnaitre les émotions de leurs maitres et possesseurs. Mais visiblement, celle-ci n’avait pas encore acquis toute la finesse des sentiments humains.
Dans leur dernier film, ‘’Effacer l’historique’’, Benoit Delépine et Gustave Kervern imaginent une histoire d’amour entre un client, joué par Denis Podalydès, et une opératrice téléphonique, interprétée par une Intelligence artificielle. Pure fiction : quiconque a déjà eu à faire à ce genre de plateforme vocale entièrement automatisée sait qu’en matière de love story, il y a des progrès à faire :
Livraison
Nous n'avons pas compris votre demande
LI-VRAI-SON
J’en viens à présent au Covid, et à ses conséquences sur notre façon de nous adresser, non pas aux robots, mais à nos semblables, ce qui a de plus en plus tendance désormais à revenir au-même.
Avant-hier, comme souvent le samedi, je suis allé à la boucherie. Boutique exemplaire s’agissant des nouvelles règles sanitaires : les clients, masqués, s’adressent aux bouchers, masqués, derrière une vitre en plexiglas. ‘’Bonjour, je vais vous prendre 4 paupiettes’’ ; ‘’des rillettes ?’’, ‘’non des PAU-PIET-TES !’’
Vous avez remarqué : dès que vous essayez d’ar-ti-cu-ler pour vous faire comprendre, vous haussez le ton, ce qui donne automatiquement à celui-ci un caractère autoritaire et robotisé, dépourvu du moindre affect, comme si vous vous adressiez à des enceintes connectées de première génération. N’est-ce pas ce à quoi vont de plus en plus ressembler nos conversations, si la norme veut que nous nous adressions les uns aux autres derrière des masques, a fortiori s’ils sont plus épais pour nous protéger du virus, et ce à travers des barrières en plexiglass ?
De telles barrières ont été mises en place à la cantine de Radio France au début de l’épidémie, obligeant à converser de manière exagérément articulée et sonore, ce qui ne favorise pas l’échange de confidences. Depuis, j’y déjeune donc seul à midi. Enfin, seul, pas tout à fait : je partage mon repas avec mon enceinte connectée.
Ok Google, je voudrais écouter la chronique de Géraldine Mosna-Savoye
Je ne comprends pas. Souhaitez-vous écouter des morceaux de polka sur une remontée mécanique en Savoie ?
MOS-NA SA-VOYE !!
L'équipe
- Production