SpaceX devait lancer dans la nuit une nouvelle salve de satellites, destiné à l'accès à internet via l'espace. Au grand dam des astronomes..
J’évoquais hier ma préférence pour la vie parisienne. Il y a tout de même quelque chose que je préfère à la campagne, et qui me conduit à y retourner chaque été pour les vacances : la couleur du ciel la nuit. A condition qu’il ne pleuve pas, qu’il n’y ait pas trop de nuages, et que les moustiques locaux aient signé un traité de paix avec le genre humain, on peut s’y noyer dans la contemplation des étoiles.
Encore que le ciel, sous nos latitudes, n’y est jamais aussi sombre qu’il devrait. Comme le constate Samuel Challéat dans son livre ‘’Sauver la nuit’’ aux éditions Premier parallèle, ‘’il n’y a plus, sur le territoire français, un seul endroit depuis lequel le ciel serait totalement exempt de pollution lumineuse’’. Et ce qui vaut pour nos campagnes vaut pour le reste du monde : ‘’83% de la population mondiale et plus de 99% de la population états-unienne et européenne vit sous un ciel entaché’’ de luminosité artificielle. Le halo des lampadaires, des enseignes, des phares des voitures, des immeubles et des maisons se perd dans le ciel et le rend moins obscur.
Mais cette pollution ne suit pas seulement un mouvement ascendant. Car voilà que la voute céleste renvoie à son tour, et de plus en plus, vers la surface de la Terre un fatras d’étincelles, avions qui clignotent, satellites qui orbitent (9 000 ont été lancés depuis le premier Spoutnik, en 1957). Et désormais Crew Dragon, le vaisseau amiral de la flotte coruscante du milliardaire Elon Musk.
Au cas où vous seriez passés à côté de l’info, l’entreprise SpaceX, dirigée par Musk, a réussi le week-end dernier à envoyer un vol habité dans l’espace, vers la Station spatiale internationale, une première pour les Etats-Unis depuis 9 ans, une première tout court pour une entreprise privée. Exploit technologique, révolution politique, mais calamité astronomique.
Non pas que la capsule parvienne à elle seule à troubler l’obscurité du ciel, mais elle sert de caravane publicitaire à un projet beaucoup plus vaste, qui devrait conduire SpaceX et son programme Starlink d’accès à internet via l’espace à envoyer, à terme, jusqu’à 42 000 satellites autour de la Terre, qui iraient jusqu’à concurrencer l’empreinte visuelle des étoiles. Fin avril, on a déjà pu observer dans le ciel nocturne une trainée lumineuse, formée par la constellation d’une 60aine de satellites de ce même programme. Une 60aine d’autres devait être mise en orbite cette nuit.
Une ‘’infâme bétise’’ estime ‘’Un amoureux du ciel’’, l’auteur anonyme d’un intéressant papier que vient de publier le quotidien en ligne Reporterre. ‘’Contrairement aux satellites lancés par les différentes agences spatiales…les satellites de Starlink sont des choses jetables, produits industriels de masse’’, des ‘’ferrailles’’ de la taille ‘’d’une machine à laver’’, ‘’particulièrement visibles’’ car elles ‘’reflètent les rayons du soleil’’
Une pollution lumineuse jugée d’autant plus scandaleuse par les astronomes qu’elle est au cœur d’une bataille technologique et commerciale dont on peut interroger l’utilité. ‘’Pour les promoteurs de ces constellations de parasites visuels, il s’agit d’apporter aux deux tiers de l’humanité privés d’internet une connexion haut débit, que ce soit au fin fond des forêts primaires, dans les déserts de sable ou de glace, comme au milieu des océans’’.
Présentée de cette manière, la prouesse de SpaceX (et de ses concurrents à venir) a quelque chose d’absurde. Cette course à la connexion ne nous prive pas seulement un peu plus de l’observation du ciel et de ses étoiles. Elle tisse au-dessus de nos têtes un ciel factice, comme celui qui sert de décor dans le monde imaginaire du Truman show.
Comme l’écrit encore Samuel Challéat dans ‘’Sauver la nuit’’ : ‘’Est-ce à dire que le ciel occidental, parce que l’on y voit de moins en moins d’étoiles, n’aura bientôt d’autre valeur que celle qu’il acquiert désormais via son exploitation pour l’Internet mondial ?’’
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