Élevage industriel : l'autre confinement

''au cours des 50 dernières années, la production mondiale de poulets a été multipliée par 6, atteignant 70 milliards de têtes en 2018" ('Pandémies, une production industrielle')
''au cours des 50 dernières années, la production mondiale de poulets a été multipliée par 6, atteignant 70 milliards de têtes en 2018" ('Pandémies, une production industrielle') ©Getty - People Image
''au cours des 50 dernières années, la production mondiale de poulets a été multipliée par 6, atteignant 70 milliards de têtes en 2018" ('Pandémies, une production industrielle') ©Getty - People Image
''au cours des 50 dernières années, la production mondiale de poulets a été multipliée par 6, atteignant 70 milliards de têtes en 2018" ('Pandémies, une production industrielle') ©Getty - People Image
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La 1/2 des départements français placés en risque ''élevé" en raison d'une épidémie de grippe aviaire. Les éleveurs doivent confiner leurs volailles. Décision paradoxale ?

Si vous vous attendiez à ce que je vous change les idées ce matin, c’est raté : je vais encore vous parler de confinement. Mais pas du vôtre : celui auquel sont désormais soumises des dizaines de milliers de volailles, sur une moitié du territoire.  Depuis hier, 46 départements français sont placés en risque ‘’élevé’’, en raison d’une menace d’épidémie de grippe aviaire.

Le virus a été détecté aux Pays-Bas fin octobre, non pas dans un élevage, mais sur deux cygnes. Depuis, comme on peut le lire sur le site du Ministère de l’Agriculture, ‘’le nombre de cas dans la faune sauvage ne cesse de croître en Europe’’. Il est recommandé aux éleveurs de mettre leurs animaux à l’abri, pour éviter une propagation de cette maladie (maladie sans danger pour les humains).

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Voilà qui parait une décision de bon sens : puisque ce sont les oiseaux sauvages qui, pour l’instant, sont susceptibles de colporter le virus, il faut protéger ceux d’élevage qui se trouvent sur leurs routes migratoires. L’enfermement des bêtes en fait partie. Cela relève de ce qu’on appelle la ‘ biosécurité’, c’est-à-dire ‘’l’ensemble des mesures préventives et réglementaires visant à réduire les risques de diffusion et de transmission de maladies infectieuses chez l’homme, l’animal et le végétal’’.

Sauf qu’à vouloir contenir le mal, on finit par l’entretenir. C’est ce paradoxe qu’évoque la journaliste Lucile Leclair dans l’enquête qu’elle vient de publier au Seuil/Reporterre : ‘Pandémies, une production industrielle’.

Le thème central du livre, c’est l’élevage industriel, et la façon dont ce dernier favorise la propagation des épidémies. Non pas qu’il en soit la cause : la faune sauvage est le premier facteur de maladies infectieuses dans le monde. Mais il en décuple la force et la fréquence : ‘’l’industrie agricole a créé un nid douillet pour les pathogènes’’.

Si les poules, les vaches, les cochons sont, à ce point, sensibles aux virus et autres infections, c’est d’abord parce que dans ce type d’élevage, il n’y a pas de gestes barrières. Les animaux vivent le plus souvent enfermés et entassés les uns contre les autres, ce qui favorise et accélère les contaminations : ‘’plus les animaux sont compactés, plus ils sont sous pression, et moins leurs défenses immunitaires sont efficaces’’.

Les maladies infectieuses y sont d’autant plus à l’aise qu’elles s’attaquent à des êtres vulnérables, qui par ailleurs se ressemblent tous. Le processus d’industrialisation de l’élevage a conduit à une homogénéisation des espèces, en privilégiant les plus à même de fournir d’importantes quantités de viande, et de le faire le plus rapidement possible, quitte à les stimuler un peu. C’est ainsi qu’en moyenne aujourd’hui, ‘’un poulet d’élevage industriel vit entre 35 et 40 jours. C’est quatre fois moins longtemps qu’en 1950. Ils atteignent pourtant le même poids’’ !

Si vous n’avez aucune empathie pour les animaux d’élevage, voici un dernier argument susceptible de vous intéresser. Pour que les poulets ou les porcelets résistent mieux au stress et aux maladies, on leur administre des médicaments. Pas n’importe lesquels : des antibiotiques, et pas n’importe comment : de manière préventive.

Or, explique la journaliste, confrontées à de fortes doses d’antibiotiques, certaines bactéries résistent, se renforcent, se reproduisent et migrent ‘’dans l’environnement, dans l’eau que nous buvons, dans les produits animaux que nous mangeons’’. Résultat : notre résistance aux antibiotiques, à nous humains, augmente elle aussi, nous rendant, à notre tour, plus vulnérables aux maladies.

J’en viens au paradoxe que j’évoquais plus haut, à propos de la biosécurité. En confinant les élevages de volaille pour les préserver de la grippe aviaire véhiculée par les oiseaux sauvages, ne reproduit-on pas les conditions propices à sa propagation ? N’envoie-t-on pas un message inaudible aux éleveurs qui font le choix du plein-air en leur imposant le confinement ? Comme l’écrit encore Lucile Leclair : ‘’l’élevage industriel est un facteur aggravant les épidémies ; or la réponse gouvernementale pour prévenir ces épidémies impose des normes ayant pour modèle l’élevage industriel’’ Véritable cercle vicieux dont il est, par définition, difficile de sortir…à moins de changer de modèle.

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