

La justice anglaise reconnait la pollution de l'air comme cause de la mort d'une fillette. Un tournant pour la santé environnementale ?
Retenez bien son nom : elle s’appelait Ella Kissi-Debrah. En 2013, cette petite fille, à l’époque âgée de 9 ans, décède dans la proche banlieue de Londres. Un juge anglais vient de déterminer les causes directes de sa disparition : une insuffisance respiratoire aiguë, un asthme sévère et une trop forte exposition à la pollution de l’air.
La fillette et sa famille vivaient à proximité du périphérique. ‘’Comme un canari dans une mine de charbon’’ selon les mots d’un des médecins requis pour examiner cette affaire. Comme le relate le journal The Guardian, cette décision est la première du genre au Royaume-Uni, et peut-être même au-delà. La justice reconnait que la pollution de l’air peut causer la mort.
L’évocation de cette corrélation n’est pas nouvelle. En 2016, une étude de Santé publique France évaluait à 48 000 le nombre de décès annuels provoqués par la pollution atmosphérique ; 4,2 millions de morts par an dans le monde selon l’OMS, l’ Organisation mondiale de la Santé. Et l’an dernier, toujours en France, le tribunal administratif de Montreuil donnait raison à une mère et sa fille, en reconnaissant la responsabilité de l’Etat dans l’insuffisance des mesures prises en matière de qualité de l’air (les deux plaignantes souffrant de difficultés respiratoires).
Avec la décision du tribunal londonien, une nouvelle étape est franchie. Comme le note un éditorialiste de la BBC, d’habitude la pollution de l’air est considérée comme un élément aggravant dans les morts prématurées ; cette fois-ci, elle est considérée comme une cause déterminante, qui engage la responsabilité de l’Etat. Et qui met le doigt sur les inégalités sociales : selon que vous serez puissant ou misérable, vous ne vivrez pas au même endroit et vous ne respirerez pas exactement la même atmosphère.
Cette préoccupation en faveur d’un air sain n’est pas nouvelle. Elle n’a pas attendu le déploiement de la civilisation automobile et des moteurs à essence ou diesel pour devenir un enjeu de santé publique. A la fin du XIXe siècle, les habitants des grandes villes suffoquent. L’air y est encore plus dangereux que l’eau, qui est pourtant loin d’être seine. A Paris, ‘’les infections d’origine aérienne tuent près de quatre fois plus que les infections d’origine hydrique’’.
C’est ce que raconte l’historien Pierre Darmon dans ‘’Défense de cracher. Pollution, environnement et santé à la Belle Epoque’’ (Le Pommier). ‘’Les grandes villes se signalent de loin au voyageur. Avant même d’en avoir aperçu les premières maisons, il découvre un halo noirâtre en forme d’hémisphère qui contraste avec l’air limpide des campagnes. Ce sont les fumées urbaines rejetées par les usines et les foyers domestiques’’. La faute aux millions de tonnes de houille brûlés chaque année, dont les citadins inhalent la poussière et leur fait contracter une ‘’anthracose qui pétrifie les bronches’’ et ouvre ‘’la voie aux maladies infectieuses’’. Lutter contre cette pollution urbaine sera une des grandes affaires sanitaires au début du XXe siècle.
Depuis, la pollution a changé de nature. Mais le combat pour une meilleure qualité de l’air est loin d’être gagné. Fin novembre, l’ Agence européenne pour l’environnement publiait son rapport annuel sur le sujet. S’il en ressort que les décès prématurés liés à la pollution par les particules fines ont diminué de moitié sur les dix dernières années en Europe, la pollution de l’air y demeure encore bien trop élevée.
Dans le cadre de son pacte vert, la Commission de Bruxelles a fixé un objectif : ‘’vers une ambition zéro pollution’’. On peut aussi rappeler qu’en France, la charte de l’environnement, adossée à la Constitution, décrète que ‘’chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé’’. Et qu’une commission d’enquête parlementaire vient de faire de la Santé environnementale une cause majeure. La décision rendue cette semaine par la justice anglaise incitera peut-être à passer davantage des paroles aux actes.
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