

Notre façon de regarder le monde conditionne notre façon de l’habiter. C’est ce que nous enseigne le philosophe Bruno Latour dans ses conférences.
La Terre n’est pas plate. La pratique du cyclotourisme sur les pentes escarpées de la chaîne des Puys a suffi à me ranger dans le camp des non-platistes. Etant entendu que le camp d’en face (ceux qui croient que la Terre est plate) n’est probablement qu’une invention dont la finalité m’échappe. Je n’ai en tout cas jamais croisé d’individus appartenant à cette espèce, alors que leurs contradicteurs prospèrent sur les réseaux sociaux.
Pour autant, la Terre est-elle aussi ronde qu’on veut bien le dire ? Après avoir assisté, il y a une quinzaine de jours, à une conférence de Bruno Latour au théâtre des Amandiers à Nanterre, j’en viens à douter de cette réalité pourtant scientifiquement établie.
A ce niveau de la chronique, deux précisions s’imposent. D’abord qui est Bruno Latour ? C’est un philosophe, un des grands penseurs contemporains de l’écologie. Il s’intéresse à notre façon d’habiter le monde et de cohabiter avec les autres formes du vivant.
Evidemment, il ne remet pas en cause la forme sphérique de notre planète. Mais il invite à repenser la représentation que nous en donnons, pour mieux nous situer dans ce moment fondamental pour les sociétés humaines qu’est l’Anthropocène.
Pour comprendre, il faut partir du constat suivant : la façon de représenter notre planète ne dépend pas seulement de l’état de nos connaissances. Elle raconte aussi la façon que nous avons de nous projeter dans le monde. Et de l’occuper. Ainsi, la Terre s’est d’autant mieux prêtée à l’exploration que nous avons compris qu’elle était ronde.
Etape suivante (on peut la dater précisément) : le 24 décembre 1968. La mission Apollo 8 réalise un cliché devenu célèbre : le premier lever de Terre. On y voit, depuis l’espace, la Terre se lever, à la manière du soleil. J’apprends dans Wikipédia que le magazine Life a classé ce cliché parmi les ‘’100 photographies qui ont changé le monde’’.
Elle a en tout cas changé notre perception du monde. La Terre y apparaît comme un objet lointain, une planète d’autant plus belle et précieuse qu’elle parait vulnérable. On pourrait presque la tenir dans sa main. La conquête spatiale nous permet de l’observer et de l’envisager de l’extérieur.
Or, nous dit Bruno Latour, c’est une erreur de considérer que nous sommes à l’extérieur de la Terre, ou même simplement à sa surface. Nous sommes à l’intérieur, ‘’Inside’’, pour reprendre le titre de sa conférence. Nous y sommes même confinés, on ne peut pas s’en échapper. Nous vivons dans les plis de cette planète.
Et nous y vivons mal. Confrontés au changement climatique, nous choisissons soit de nous replier sur le local ; soit de nous projeter dans le global ; soit de rester hors-sol, c’est-à-dire dans le déni. Or aucune de ces façons d’habiter la Terre n’est vraiment satisfaisante.
L’intuition géniale de Bruno Latour, c’est d’avoir compris que c’est la façon dont nous représentons la Terre qui conditionne la façon dont nous l’habitons, et dont nous nous comportons avec elle. Pour mieux l’habiter, il faut changer de point de vue. Passer d’une vision géographique à une vision géochimique. Se libérer de notre façon de cartographier la Terre pour en inventer de nouvelles, qui rendent davantage compte de notre place dans le vivant.
La chronique radiophonique a ses limites. Impossible de restituer à l’oral la complexité et la poésie des représentations très élaborées projetées sur la scène des Amandiers.
J’ai néanmoins tenté de trouver, moi aussi, une nouvelle forme à la Terre, suivant le conseil de Bruno Latour de renverser nos représentations. Est-ce parce qu’à ce moment de la conférence –il était pas loin de 19h30-, j’ai ressenti un petit creux. Il m’est en tout cas venu l’image d’un donut, le beignet représentant la planète Terre, le trou au milieu figurant l’univers. Ma conviction est faite : la Terre est ronde comme un donut !
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