

Viande artificielle, viande végétale : les risques liés à une alimentation trop carnée conduisent à la recherche de substituts. Et si la solution était ailleurs ?
On se détend comme on peut pendant le confinement. Pour ma part, la récréation consiste à regarder, en fin d’après-midi, l’émission Objectif Top Chef sur M6. On y voit des apprentis cuisiniers se mesurer les uns aux autres, dans l’espoir d’intégrer la brigade du doublement étoilé Philippe Etchebest.
La semaine dernière, un des candidats proposait un plat essentiellement à base de légumes, avec, en guise de garniture, du magret de canard. Stupeur du chef : la viande n’était pas au centre du plat comme c’est l’usage, mais sur le côté, une mini-portion pour accompagner l’élément principal : des ravioles végétales et de la purée de céleri.
Ce qui m’a interpellé dans cette inversion des codes culinaires, c’est justement le fait que cela m’interpelle. Le plat aurait été entièrement végétarien que je n’y aurais pas prêté attention. Mais ce magret réduit à sa portion congrue, à un rôle subalterne comme le sont d’habitude les légumes, a agi comme une double révélation, à la fois en révélant la place démesurée que prend la viande dans nos assiettes et en proposant une solution maline pour y remédier.
Car nous mangeons encore trop de viande. Si la consommation mondiale a baissé en 2019 et devrait à nouveau diminuer en 2020, ce sont néanmoins 333 millions de tonnes qui vont être produites cette année selon la FAO, l’organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture. Une production multipliée par 3 en un demi-siècle.
Il est pourtant avéré que cette boulimie a des effets néfastes sur notre santé (elle augmente les risques de maladies cardio-vasculaires) et sur l’environnement (l’élevage contribue à 14% des émissions mondiales de gaz à effet de serre). Quant aux conditions de vie des animaux, il semble illusoire de les améliorer foncièrement tant que la demande reste à un niveau aussi élevé : pour pouvoir y répondre, il faut produire à un rythme industriel.
Mais le goût de la viande l’emporte sur toute autre considération. A tel point que les alternatives ont bien du mal à s’en détacher. Ainsi la révolution annoncée de la viande artificielle, qui vient de franchir un cap symbolique : Singapour devient le premier pays au monde à autoriser la vente, dans ses restaurants, de nuggets de poulet fabriqués en laboratoire.
Si cette annonce a provoqué des réactions hostiles, ce n’est pas seulement à cause de l’opacité de sa production et du caractère industriel de celle-ci. C’est aussi parce qu’elle vient heurter notre conception de ce qu’est la viande. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a ainsi réagi sur Twitter : ‘’est-ce vraiment cela la société que nous voulons pour nos enfants ? Moi NON. Je le dis clairement : la viande vient du vivant’’.
Interrogée dans Libération ce week-end, la philosophe Florence Burgat se demande si notre refus de la viande in vitro ne vient pas du fait que ‘’l’idée de manger un animal mort, le meurtre en lui-même, nous manquerait si on ne se nourrissait pas de vraie viande’’. Passionnante question anthropologique.
La résistance n’est donc pas que gustative : elle est aussi culturelle. Autre exemple : Les Nouveaux fermiers. Cette start-up a lancé en septembre la 1ère usine en France de viande végétale. Dans son catalogue, des steaks, des aiguillettes, des nuggets, autant de produits qui reprennent les codes des produits carnés –leur nom et leur forme- sans qu’il y ait pour autant le moindre petit bout de viande à l’intérieur. Comme si le végétarisme avait besoin de béquilles pour avancer.
Dans la revue Sociétal, Céline Bonnet, directrice de recherche à l’INRAE, explique qu’une des voies pour réduire la consommation de viande passe par des changements comportementaux qui, plutôt que d’être imposés, peuvent être suggérés aux consommateurs. Ainsi, lorsque les plats végétariens sont positionnés en tête de liste sur les menus au restaurant, ils sont plus souvent choisis. C’est la technique du nudge.
Voilà qui nous ramène à Objectif Top Chef , à l’audace de ce jeune apprenti et à sa médecine douce pour nous guérir de notre addiction. Et si, dans les restos, dans les cantines, la viande était désormais proposée comme une simple garniture ? Et si le magret se contentait d’accompagner la purée ?
L'équipe
- Production