La rentrée littéraire remet au goût du jour des textes de penseurs considérés comme pionniers de l'écologie. Que nous disent-ils de notre façon d'envisager cette question ?
Pas besoin d’aller farfouiller dans les tréfonds des rayons des librairies pour mesurer l’importance que les éditeurs accordent à l’écologie : celle-ci se retrouve désormais en tête de gondole. La rentrée des essais, un peu plus tardive et étalée que celle des romans, ne va pas déroger à la règle. Comme le notait Florent Georgesco dans un long article pour le Monde la semaine dernière, la pandémie a suscité son lot d’analyses environnementales. ‘’Au demeurant, les sujets écologiques dépassent très largement le champ de nos inquiétudes virologiques. C’est, en l’occurrence, une tendance forte et quasi obsessionnelle de l’édition de non-fiction depuis plusieurs années’’.
Dans ce flot de lectures possibles (dont j’aurai l’occasion de vous parler tout au long de cette nouvelle saison), il est un genre en vogue qui a d’autant plus retenu mon attention que j’en suis assez client, bien que celui-ci pose question : la ‘’résurrection’’ d’auteurs considérés comme précurseurs, de récits visionnaires qui témoignent, ou semblent témoigner, d’une compréhension des bouleversements à venir.
C’est le cas par exemple de la collection que lancent en cette rentrée les éditions du Pommier : Les pionniers de l’écologie. Tellement pionniers pour certains que les textes qui sont réédités aujourd’hui datent d’avant l’’’invention’’ du mot écologie en 1866, par le biologiste allemand Ernst Haeckel. Ainsi l’Histoire naturelle des animaux sauvages du grand naturaliste Georges-Louis Leclerc de Buffon, publié en 1756 ; le Voyage à la Sierra Nevada d’Elisée Reclus, récit d’un périple en Colombie par celui qui s’illustrera quelques années plus tard pendant la Commune de Paris. Ou encore la description des Steppes et déserts d’un autre grand naturaliste et géographe, le baron Alexandre de Humboldt. Leur vision ? Celle d’un autre rapport à entretenir avec la nature.
En cette rentrée, les éditions du Passager clandestin continuent leur travail de pédagogie à propos des ‘’Précurseurs de la décroissance’’. Dans leur dernière fournée : les philosophes Simone Weil et Günther Anders et l’économiste Karl Polanyi. La même maison republie aussi des récits d’anticipation dans sa collection Dyschroniques, textes du siècle dernier qui témoignent d’une inquiétude à l’égard des catastrophes à venir.
On pourrait citer de nombreux autres auteurs, dont les écrits sont revitalisés par les préoccupations écologiques contemporaines. De Rachel Carson à Jacques Ellul en passant par Nan Shepherd et Ivan Illich, on assiste à un retour de flamme pour leurs écrits, dont la lecture mêle l’admiration à l’amertume : que ne les avons-nous pas pris davantage au sérieux !
Cet intérêt pour les auteurs d’hier et leurs œuvres prétendument visionnaires présente néanmoins un risque : celui de vouloir faire entrer, au chausse-pied, leur analyse dans notre présent, de n’en retenir que ce qui correspond à notre lecture de l’époque. J’évoquais ainsi en début de semaine Soleil vertde Richard Fleischer, description d’un monde où l’humanité a épuisé les ressources disponibles. Sauf que le film part de l’idée que c’est la démographie galopante qui conduit l’espèce humaine à son extinction : thèse très en vogue à l’époque…mais qui n’a pas dépassé, à ce jour, le stade de la prédiction.
Il faut se méfier de l’argument marketing, qui veut qu’un auteur et son œuvre seraient d’autant plus intéressants qu’ils nous parlent encore aujourd’hui. Cette tyrannie de la modernité ne concerne pas que l’écologie, loin s’en faut. Pour ma part en tout cas, ce que j’aime dans les textes d’hier, c’est qu’ils me parlent d’hier, justement.
Certains verront peut-être dans cet appétit pour les textes pionniers le signe d’une apathie de la pensée contemporaine, mais ce serait faire injure aux nombreux intellectuels vivants qui travaillent sur ces questions. Mon hypothèse est plutôt la suivante : inconsciemment sans doute, nous lisons les œuvres visionnaires pour nous rassurer. D’autres avant nous avaient envisagé le pire, sans que ce pire n’advienne de leur vivant. Alors pourquoi, aujourd’hui, en irait-il autrement ?
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