Le grand écart

la production d'énergies fossiles respecte de moins en moins la trajectoire de l'accord de Paris
la production d'énergies fossiles respecte de moins en moins la trajectoire de l'accord de Paris ©Getty -  Eoneren
la production d'énergies fossiles respecte de moins en moins la trajectoire de l'accord de Paris ©Getty - Eoneren
la production d'énergies fossiles respecte de moins en moins la trajectoire de l'accord de Paris ©Getty - Eoneren
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La COP 25 sur le changement climatique aura lieu début décembre à Madrid. Elle aura pour objet de faire le point sur les engagements des pays signataires. On sait déjà qu’ils sont insuffisamment respectés, comme en témoigne un nouveau rapport publié ce mercredi.

Pour bien comprendre un phénomène, il faut multiplier les points de vue. Cette règle ne vaut pas seulement pour les journalistes. Elle est au cœur de la démarche scientifique, étant entendu que le choix d’une unité de mesure, d’un point de comparaison, ne donnera jamais qu’une compréhension partielle du phénomène en question. 

A ce titre, le rapport ‘’Production gap’’, publié ce mercredi par plusieurs centres de recherche spécialisés dans l’énergie et le climat, apporte un éclairage supplémentaire à la crise climatique. Ses auteurs, qui ont travaillé avec le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, se sont intéressés non pas à l’évolution des émissions de gaz à effet de serre (en quasi constante augmentation), mais à celle de la production d’énergies fossiles (lesquelles sont les principales responsables du réchauffement).

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Le résultat est édifiant : le monde, dans son ensemble, s’apprête à produire ‘’beaucoup plus de charbon, de pétrole et de gaz’’ que ce qui est supportable pour respecter les engagements de l’accord de Paris de 2015. Surtout, l’écart entre production souhaitable et production réelle ne va cesser de se creuser au cours des prochaines années, eu égard aux politiques menées par la plupart des gouvernements.

Prenons l’hypothèse haute de l’accord de 2015 : un réchauffement global planétaire de 2°C d’ici 2100 par rapport à 1850. Si l’on additionne les plans nationaux, il apparaît qu’en 2030, la production d’énergies fossiles dépassera de 50 % le seuil permettant de limiter le réchauffement à 2°C. L’écart est encore plus grand -c’est logique- si l’on retient l’objectif officiel de +1.5°C : dans ce cas, la surproduction atteint 120%. Autrement dit, nous allons produire plus de 2 fois plus d’énergies fossiles dans les 10 prochaines années que ce qui est tenable pour respecter l’accord de Paris.

Le principal mérite de cette approche, au-delà du décalage qu’elle souligne entre les discours et les actes, c’est de donner un nouvel indicateur aux décideurs politiques : voilà ce que vous pouvez produire en charbon, en gaz et en pétrole, pour tenir vos engagements climatiques. On peut y voir un instrument d’aide à la décision, plus que de contrainte. Encore faut-il bien sûr que la volonté politique soit au rendez-vous.

Or comme le notent les auteurs du rapport, renoncer aux énergies fossiles pose justement d’importants problèmes politiques. Ainsi, ‘’l’autorité des dirigeants peut dépendre de la création d’emplois et de services financés par les revenus du pétrole, du gaz et du charbon, tandis que la perte de revenus peut compromettre la légitimité de l’Etat’’ : le pouvoir n’a donc pas intérêt à prendre les bonnes décisions. Par ailleurs, ‘’pour certains pays en développement disposant de réserves de combustibles fossiles récemment découvertes, les investissements dans de nouvelles installations de production sont considérés comme un moyen de sortir de la dépendance vis-à-vis de l’aide au développement et des importations d’énergie’’.

La France a cet avantage de ne pas être autant exposée à ces contraintes : elle n’est ni un pays en développement, ni une grande puissance sur le plan des énergies fossiles. Elle a d’ailleurs mis fin, en 2015, à tout projet lié au charbon. Mais elle n’est pas pour autant vertueuse : si Emmanuel Macron, à l’ONU, en septembre, appelait ‘’les grands pays de ce monde’’ à arrêter ‘’de financer de nouvelles installations polluantes dans les pays en développement’’, ‘ ’l’Etat, à travers la Banque publique d’investissement, se porte garant de prêts auprès des banques pour les entreprises françaises qui bâtissent des projets de sites gaziers ou pétroliers’, comme le notait un article récent du Monde.

A cet égard, la récente décision de la Banque européenne d’investissement marque peut-être un tournant. Elle a annoncé jeudi dernier qu’elle cesserait, à partir de 2022, de financer tout nouveau projet lié aux énergies fossiles, y compris des projets liés au gaz. La prochaine présidente de la Commission européenne dit même vouloir transformer la BEI en banque du climat, c’est à dire une banque qui ne financerait que des projets cohérents avec les objectifs de réduction de gaz à effet de serre.  Ce que d’aucuns appellent la finance verte : pour certains, un oxymore

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