Le prix du brut a chuté de manière spectaculaire, atteignant même des prix negatifs. Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle ?
J'évoquais l'autre jour le livre de Mickaël Launay, ‘’Le théorème du parapluie'', ma lecture la plus réjouissante depuis le début du confinement. Il y parle notamment de cette bizarrerie que sont les nombres négatifs, et de l'agilité d'esprit qu'il a fallu aux mathématiciens pour les imaginer, en faire des concepts abstraits qui n'ont pas d'équivalent dans la vie réelle. Vous pouvez avoir 0 tomates dans votre frigo, mais – 3 tomates, c'est plus compliqué à visualiser.
Avec les prix négatifs, c'est la même chose. Il faut se concentrer un minimum pour ne pas être saisi de vertige face à cette proposition : un kilo de tomates à -3,50 euros. Si vous voyez un tel prix s'afficher chez votre primeur, vous allez probablement tiquer (en tout cas, moi, c'est l'effet que ça me ferait).
Et bien c'est justement ce qui s'est passé lundi soir sur les marchés pétroliers. Le cours du baril est descendu, sur certains marchés et pour le seul mois de mai, à -37 dollars ! Schématiquement, cela signifie que si j'achète un baril, on me le donne et en plus, on me donne 37 dollars : une très bonne affaire à condition d'avoir un endroit où le stocker (sachant qu'un baril fait environ 159 litres, combien pourrez en mettre dans votre salle à manger ?).
C'est justement pour des questions de stockage que le prix est passé en négatif. Avec le confinement, la demande a dégringolé, les producteurs ne peuvent pas arrêter leurs puits, cela leur couterait trop cher ensuite. Idem pour le stockage, trop coûteux : d’où cette aberration qui conduit à payer ses clients pour écouler son pétrole. (pour une analyse beaucoup plus précise, je vous conseille la lecture de cet article du Monde)
Alors s'agit-il d'une bonne nouvelle ? J'entends par là une bonne nouvelle du point de vue de la transition écologique. Et bien comme souvent, la réponse est complexe.
A première vue, c'est le Oui qui l'emporte. Si le prix du pétrole est devenu négatif, c'est parce que la demande a chuté : moins d'activité économique, moins de transport, donc moins de combustion de pétrole et moins d’émissions de CO2. Ce que révèle la chute vertigineuse des cours, c'est une trajectoire vertueuse pour le climat.
Autre perspective intéressante : la baisse des cours fragilise une partie de la filière, notamment celle du pétrole de schiste. Le coût de son extraction est très élevé, les compagnies (souvent américaines) sont endettées : si les prix restent bas, certains vont devoir stopper leur activité. Ce qui, eu égard aux dégâts environnementaux causés, est une bonne nouvelle. Bref, si ça continue comme ça, la fin de l'ère du pétrole pourrait s'en trouver accélérée.
Sauf que…ça ne va pas continuer comme ça. Avec le déconfinement, l'activité va reprendre, et comme elle est encore très pétro-dépendante, la consommation de pétrole va repartir à la hausse. Et elle va le faire d'autant plus que les prix sont partis pour rester bas. Ils ne seront pas négatifs (ils ne le sont déjà plus d'ailleurs) mais les grands pays producteurs comme l'Arabie Saoudite ou la Russie vont sans doute continuer à produire beaucoup pour consolider leurs positions sur les marchés. Dans la période de relance à venir, c'est vers l'énergie la moins chère que la consommation va se tourner, sachant que par ailleurs, les réserves pétrolières mondiales sont importantes : on est loin de la pénurie.
Dans le rapport qu'il publie ce matin, le Haut conseil pour le climat (un organisme indépendant créé il y a un an) met en garde contre les effets d'une ‘’dépression prolongée du prix du baril’’ :
.‘’il rend les énergies renouvelables moins compétitives’’,
.‘’il peut accroitre les émissions importées de la France’’, c’est-à-dire les émissions liées aux produits que nous achetons a l'étranger, dans des pays qui ne sont pas toujours engagés dans la réduction de leur empreinte carbone,
.enfin, ce prix bas du pétrole ‘’masque les difficultés structurelles du secteur et donc l'enjeu de sécurité énergétique pour la France''.
Bref, on pourrait déduire de tout cela une formule mathématique, un nouvel axiome : le pétrole, moins c'est cher, plus ça nous coûte.
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