La France vient-elle d'accueillir son premier 'réfugié climatique' ? Non...
A vouloir traquer au quotidien les transitions du monde dans lequel nous vivons, on prend le risque d’exagérer l’ampleur de certains événements, de prendre des pets de lapin pour des tournants historiques, a fortiori lorsque leur traitement sous la loupe médiatique nous y incite. Bref, j’ai bien failli me faire avoir.
Me faire avoir par la décision rendue le mois dernier par la cour administrative d’appel de Bordeaux. Elle devait statuer sur le sort d’un sans-papier, un homme originaire du Bengladesh, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français. L’homme en question, serveur dans un restaurant à Toulouse, souffre de problèmes respiratoires. La cour d’appel a décidé d’annuler son renvoi, considérant qu’un retour au Bengladesh l’exposerait ‘’à un risque d’aggravation de son état de santé’’.
Il n’en fallait pas plus que pour le plaignant se transforme aussitôt, dans les titres des journaux, en ‘’premier réfugié climatique’’ accueilli par la France. Son avocat, interrogé par le journal La Dépêche, en est persuadé : ‘’à ma connaissance, pour la première fois, une décision de la justice française a pris en compte cette réalité climatique’’. Bingo : voilà un excellent sujet de chronique !
Sauf qu’en y regardant de plus près, il manque quelques éléments pour que cette décision puisse prétendre au qualificatif d’historique. D’abord, en raison d’une confusion dans les termes. Si le plaignant n’est pas renvoyé dans son pays, c’est parce que la pollution atmosphérique qui y règne lui fait courir des risques, eu égard à sa santé fragile. Or cela n’a rien à voir avec le changement climatique. Certes, les activités industrielles peuvent avoir un impact indirect sur celui-ci, via leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais les deux phénomènes sont bien distincts.
Puisque cette affaire relève des migrations et du climat, j’ai appelé le meilleur spécialiste en la matière, le politologue François Gemenne. Lequel me fait remarquer que cette décision de non expulsion n’est pas inédite, qu’il est courant que des personnes ne soient pas renvoyées chez elles pour des raisons de santé : c’est même un des motifs classiques du droit d’asile. Il arrive même que des déboutés de ce droit obtiennent un sursis après des catastrophes naturelles dans leurs pays : ce fut le cas par exemple après le tremblement de terre en Haïti, en janvier 2010.
Quant à parler de réfugié climatique à propos d’une décision juridique, voilà qui est un peu précipité. Si l’idée d’un lien entre migration et climat est aussi ancienne que l’humanité, si la notion est souvent utilisée (comme par exemple en 1992 dans le premier rapport du GIEC), elle n’a aucune reconnaissance institutionnelle. Le ‘’réfugié climatique’’ n’existe pas en tant que tel.
Je vous avais parlé il y a tout juste un an d’une petite avancée en la matière, lorsque le Comité des droits de l’homme de l’ONU avait reconnu que ‘’la dégradation de l’environnement’’ pouvait ‘’mener à une violation’’ du droit à la vie des individus mais ce n’était qu’un tout petit pas vers la reconnaissance d’un statut de ‘’réfugié climatique’’.
Au demeurant, m’explique encore François Gemenne, personne n’a vraiment envie d’avancer dans cette direction. Y compris les pays du Sud qui voient dans ce projet de statut une manœuvre de ceux du Nord pour s’acheter une conscience à peu de frais. Car s’il devait être créé, ce ne sont pas les plus riches qui devraient en assumer les conséquences : aujourd’hui en effet, 85% des réfugiés des pays du sud se rendent…dans d’autres pays du sud. Pourquoi voudriez-vous que cela change ?
Bref, l’adoption d’un statut de réfugié climatique n’est pas pour demain. Est-ce à dire que la décision de la cour d’appel de Bordeaux ne vaut rien ? Elle a au moins le mérite de faire reconnaitre, par la justice, les dangers de la pollution atmosphérique, comme l’a fait il y a quelques semaines un tribunal londonien. Et ça, ça vaut largement un pet de lapin.
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