Le terreau et l'horticulteur

vers une coprésidence du terreau et de l'horticulteur
vers une coprésidence du terreau et de l'horticulteur ©Getty - Krisana Antharith / EyeEm
vers une coprésidence du terreau et de l'horticulteur ©Getty - Krisana Antharith / EyeEm
vers une coprésidence du terreau et de l'horticulteur ©Getty - Krisana Antharith / EyeEm
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La lecture du dernier essai de Régis Debray est aussi réjouissante qu’urticante. Mais de quoi au juste parle ce texte d'une cinquantaine de pages ? D’un changement de civilisation. Le philosophe fait le constat que nous avons quitté le "siècle rouge" et que nous sommes entrés dans une nouvelle ère.

Si Régis Debray a trainé ses guêtres aux quatre coins de la planète, renonçant parfois au confort moderne (rappelons qu’il fut compagnon de lutte de Che Guevara), on l’imagine mal élire domicile à Notre Dame-des-Landes. Car son ‘’Siècle vert’’ (2e meilleure vente d’essais cette semaine) n’est pas tendre avec ceux qui ont fait du respect de la Nature l’alpha et l’oméga de leur organisation collective. Etrange obsession que celle-ci, semble-t-il penser.

Loin des combats qui ont longtemps guidé l’espèce humaine : s’émanciper hier, écrit-il, c’était s’affranchir des fléaux naturels, (s’émanciper) aujourd’hui, c’est s’affranchir du marteau-piqueur pour épouser la photosynthèse. L’Occidental se cherchait au Ciel ; il s’est cherché ensuite dans son semblable ; il se cherche à présent dans le chimpanzé -au risque de s’y retrouver

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Indéniablement, Régis Debray a le sens de la formule : c’est ce qui rend la lecture de son essai aussi réjouissante qu’urticante. Mais de quoi au juste parle ce petit texte d’une cinquantaine de pages ? D’un changement, non pas seulement d’époque, mais de civilisation.

Le philosophe y fait le constat que nous avons quitté le siècle rouge, le rouge du communisme, le siècle des luttes pour l’émancipation sociale et l’égalité, et que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, où il n’est plus question de combattre l’exploitation de l’homme par l’homme mais l’exploitation de la nature par l’homme : ‘’l’ennemi principal n’est plus le patron mais la fumée d’usine’’ ! En changeant de cible, la Révolution a quitté les rives de l’Histoire pour épouser un temps figé, celui de la Nature toute puissante.

Ce qui est intéressant avec Régis Debray, et ce qui le différencie de ceux de sa génération qui, autrefois révolutionnaires, sont devenus les gardiens de l’ordre établi, c’est qu’en dépit des apparences, lui aussi est inquiet de la dégradation de l’état de la planète : ‘’notre petite boule terraquée demande grâce. Puisque vouloir la transformer, c’était la saccager, notre premier devoir, c’est de préserver le peu qui nous en reste’’. Le voilà-même capable de défendre, sans ironie, les bobos et leurs ‘’menus gestes climato-compatibles’’, de remercier la jeunesse ‘’de battre en brèche l’imbécilité du tout-économique’ Est-ce à dire qu’il a viré écolo ?... Non ! Lui ne mange pas de ce pain béni-là.

Car Régis Debray en est convaincu : un nouveau culte régressif, celui des Ecosystèmes, est en train de se mettre en place, lequel culte ‘’ignore la roue, l’angle droit et la Sécu’’, et nous ‘’fait retourner à la case steppe et forêt’’, ‘’demi-tour néolithique. Les chamans sont de retour’’. Je résume : l’évangélisation est en marche, les Tartuffe règlent son pas, les climato-sceptiques sont les nouveaux hérétiques, Torquemada s’est réincarné en Greta Thunberg, les COP servent de synodes œcuméniques, malheur à quiconque se met en travers du chemin des idolâtres. C’est drôle, c’est féroce même, mais c’est un peu à côté de la plaque.

Régis Debray a certes raison, sur le principe, de s’inquiéter de l’émergence d’un nouveau totalitarisme, le 20e siècle en fut un témoin éloquent. A ceci près qu’on aimerait savoir où il s’exerce aujourd’hui. Où est cet absolutisme vert qui menace de nous engloutir ? S’il a conquis des esprits, du moins ne s’est-il toujours pas emparé du pouvoir. La prétendue nouvelle hégémonie culturelle n’a franchi les portes ni du Parlement, ni celles de l’Elysée, et pas non plus du CAC 40 (pour ne parler que du cas français). Le capitalisme peut dormir sur ses deux oreilles, l’expérience zadiste (si tant est qu’elle ait vocation à devenir un modèle) n’en est qu’au stade du balbutiement.

Il faut néanmoins aller au bout de cet essai aussi réjouissant qu’agaçant pour comprendre qu’in fine, Régis Debray, derrière ses provocations malicieuses, nous incite avant tout à être vigilants. Combattre les excès d’un système au service exclusif de l’humain, oui, mais attention à ne pas tomber dans l’excès inverse, qui consisterait à nous incliner, pire à nous effacer, devant les exigences supposées de nouvelles divinités. Il faut trouver, nous dit l’auteur du Siècle vert, un juste milieu, inventer un monde ‘’sous la coprésidence du terreau et de l’horticulteur’’. Cette conclusion vaut bien quelques outrances.

par Hervé Gardette

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