Overdose de photos

toutes les photos sont-elles bonnes à prendre ?
toutes les photos sont-elles bonnes à prendre ? ©Getty - David Malan
toutes les photos sont-elles bonnes à prendre ? ©Getty - David Malan
toutes les photos sont-elles bonnes à prendre ? ©Getty - David Malan
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Bientôt les vacances d’été. De nouveau, la possibilité de voyager. Et de ramener plein de photos. Ou pas.

Dans ‘’Odes’’, un recueil de courtes chroniques publiées chez Actes Sud, l’historien et dramaturge David Van Reybrouck raconte l’histoire d’un homme ayant parcouru à pieds les 4200 kilomètres qui séparent le Mexique du Canada. Son périple dure 5 mois.  Tous les 2 kilomètres, il s’arrête pour prendre une photo…de lui-même. Son album souvenirs : non pas des paysages mais une suite ininterrompue de selfies.

Cet exemple illustre jusqu’à l’absurde l’usage contemporain de la photographie. Une consommation compulsive rendue possible par la quasi-absence de limites qu’offre le numérique. Il faut avoir plus de 30 ans pour comprendre ce que voulait dire cette phrase autrefois : ‘’Sacrebleu, il ne me reste plus que trois poses sur ma pellicule !’’. Un énoncé très ‘20e siècle’, témoignage d’un temps où la photographie était rationnée.

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Un des grands plaisirs à l’époque consistait à prendre une 13e photo sur une pellicule qui n’en promettait que 12, et de constater, après l’avoir fait développer, que la 13e avait fonctionné, bien qu’un peu rognée sur le côté. C’était comme d’avoir réussi à tromper la vigilance de Kodak, une dose de rab, comme quand vous croyez que le tube de dentifrice est terminé mais qu’en appuyant bien, une ultime noisette apparait.

N’y voyez aucune nostalgie. Je vous épargne le discours sur le fait que nous avions d’autant plus conscience de la valeur des choses qu’elles étaient en quantité restreinte, tandis qu’aujourd’hui, avec les smartphones, on peut mitrailler sans relâche mais sans vraiment apprécier, et patati et patata… Simplement, un constat, à contre-courant semble-t-il de mes contemporains : depuis que j’ai la possibilité de prendre des photos sans limite, je ne photographie plus grand-chose.

C’est arrivé progressivement. Si j’en crois les albums de famille, la naissance de mes enfants a coïncidé à peu près au passage du tout argentique vers le tout numérique : une aubaine au départ pour le jeune papa dont la principale activité consiste à mitrailler son rejeton à chaque instant de sa vie : bébé dort, bébé marche à quatre pattes, bébé mange sa bouillie…

Est-ce parce qu’en grandissant, le petit homo sapiens devient moins photogénique ? Voire plus du tout coopératif ? Toujours est-il que le rythme est devenu moins frénétique, le temps des photos devenant de moins en moins quotidien pour coïncider de plus en plus avec celui des vacances. Puis des grandes vacances. Puis des voyages sans les enfants. Puis plus rien ou presque.

Lors de mon dernier séjour à l’étranger, je n’ai même pas pris la peine d’emporter avec moi mon appareil.  Tout juste quelques clichés sans intérêt sur mon smartphone. Et la conviction que mes compagnons de route m’enverraient leurs meilleurs instantanés, me permettant ainsi de profiter pleinement de mon voyage.

Etant titulaire d’un doctorat en psychologie de comptoir, je fais l’hypothèse que, davantage que la lassitude, c’est l’absence de limite qui me dissuade de profiter pleinement de la photographie numérique. La contrainte stimule, l’abondance décourage. Entre le zéro et l’infini, je choisis le zéro.

Revenons aux chroniques de David Van Reybrouck. Dans son recueil, il raconte que lors d’un voyage en Albanie il y a quelques années, lui et sa compagne avaient décidé de partir avec un simple appareil jetable, et de ne prendre que deux photos par jour, toujours à heures fixes, quel que soit l’endroit où ils se trouvaient. Une approche oulipienne de la photo de vacances. Est-il nécessaire de préciser que cet été, ce sera aussi la mienne ?

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