Les experts du Giec (le Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) ont remis un nouveau rapport hier. Il évalue les impacts du réchauffement sur les océans et la cryosphère. Le niveau des eaux monte, elles deviennent plus acides et menacent la biodiversité.
Je n’ai jamais cru à cette fable selon laquelle des enfants à qui l’on demandait de dessiner un poisson traçaient un simple rectangle sur le papier. Un rectangle, parce que c’est la forme du poisson pané. L’histoire est trop belle pour être vraie : sans doute faut-il la ranger au rayon des légendes urbaines.
Il est bien plus probable en revanche que beaucoup seraient décontenancés s’ils avaient à reproduire, sans modèle sous les yeux, la silhouette d’une sardine, d’une daurade ou d’un maquereau. Et encore plus à les rendre reconnaissables. Vous qui n’êtes plus des enfants, essayez un peu pour voir !
Certes, les étals des poissonniers permettent de s’exercer aux natures mortes, comme à l’âge d’or de la peinture hollandaise. Mais pour combien de temps encore ? Car la biodiversité n’est pas seulement menacée sur la terre ferme. Le dernier rapport du Giec le confirme : elle l’est aussi dans les océans.
On peut comprendre aisément les effets de la surpêche sur les populations de poissons : plus on en attrape massivement, plus on perturbe les cycles de reproduction, et moins il y en a. Mais l’impact du réchauffement climatique sur la faune océanique est moins évident. Pour quelles raisons en effet des températures plus chaudes auraient-elles un impact mortifère sur nos sardines, nos daurades et nos maquereaux ?
15% de la biomasse des océans détruite par l'acidification des eaux
La réponse tient en peu de mots : l’acidification des eaux. On parle souvent des forêts comme d’immenses puits de carbone. C’est aussi le cas des océans. Ils absorbent le CO2. A ce jour, ils ont digéré un quart des émissions de dioxyde de carbone produites par les activités humaines. C’est dire l’importance capitale qui est la leur.
Lorsque le CO2 entre en contact avec l’eau, il s’y dissout. Et il s’y dissout d’autant mieux à basse température. Ainsi, comme l’explique l’IFREMER sur son site, les zones froides des océans absorbent plus de CO2 que les zones chaudes. Si les eaux de surface se réchauffent, l’absorption se fait moins bien, le puits de carbone n’est pas aussi efficace, une partie du gaz stagne dans l’atmosphère.
Reste que l’essentiel va dans les océans. Or le CO2 est un gaz acide. Plus il y en a, plus les eaux deviennent acides. Cela réduit leur concentration en carbonate de calcium, lequel carbonate sert de ‘’carburant’’ à de nombreuses espèces comme les coraux, les mollusques, une partie du plancton. Il leur permet de fabriquer du calcaire, essentiel pour leurs coquilles et leurs squelettes. Si ceux-ci disparaissent, c’est tout l’équilibre des océans qui est bouleversé.
En résumé : l’océan arrive à saturation. Trop de CO2, plus assez d’oxygène donc moins d’organismes vivants. On pourrait perdre, nous dit le Giec, 15% de la production de biomasse de l’océan.
C’est dire si les enfants à qui on demande de dessiner des poissons ne sont pas prêts de recroiser des paysages tels que Stéphane Durand les restituent dans ‘’20 000 ans ou la grande histoire de la nature’’, chez Actes Sud. Le biologiste évoque des temps de profusion, où celle-ci s’observe à l’œil nu. Il y est notamment question d’une abondance de harengs, sur les arêtes desquels Amsterdam fut construite, selon la légende. Les harengs qui permirent ‘’l’édification de la civilisation médiévale et l’essor du premier capitalisme européen’’ (avec la Ligue hanséatique), et qui inspirent ces quelques lignes à l’historien Jules Michelet, forcément lyriques : ‘’entre l’Ecosse, la Hollande et la Norvège, il semble qu’une île immense se soit soulevée et qu’un continent soit près d’émerger. Millions de millions, milliards de milliards, qui osera deviner le nombre de ces légions ?... A deux ou trois brasses d’épaisseur, l’eau disparaît sous l’abondance incroyable du flux maternel où nagent les œufs du hareng’’.
par Hervé Gardette
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