

La crise du coronavirus a rendu plus audible la parole scientifique. Le pouvoir politique s'en saisit pour justifier ses décisions. Mais pour quelle raison ce partenariat ne fonctionne pas aussi bien s'agissant du réchauffement climatique ?
Parmi les conséquences remarquables liées à l’épidémie de coronavirus, il y a la place que les scientifiques auront occupé (et occupent encore) dans le débat public et dans la prise de décision politique. Non pas qu’ils n’y aient jamais été associés par le passé ni que les deux mondes soient restés étanches jusque-là. On peut même citer, de mémoire, quelques cas de syncrétisme, des scientifiques entrés en politique, comme par exemple la chancelière Angela Merkel, l’ancien ministre Claude Allègre ou encore le député Cédric Villani.
Mais les femmes et hommes de science n’avaient jamais été autant sollicités dans les médias grand public, renvoyant parfois au souvenir de ces hauts gradés qui hantaient les plateaux télé pendant les guerres du Golfe. De la même manière, le monde politique n’avait jamais fait autant appel ouvertement à leur expertise pour justifier ses prises de position et ses décisions. Manière aussi –sans doute- pour pouvoir se disculper si les choses tournent mal, sur l’air de ‘’nous n’avons fait que suivre l’avis de…’’
Dans ce contexte de survalorisation de la parole scientifique, le Conseil scientifique Covid19 occupe une place exceptionnelle depuis le 11 mars. Rappelons sa fonction : ’’éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire liée au coronavirus’’, ce qui n’a rien d’anecdotique puisqu’il s’est aussi bien prononcé sur le processus électoral, la réouverture des écoles ou la question des contrôles pour faire respecter les gestes barrière.
A vrai dire, les avis formulés par ce conseil n’ont pas toujours été suivis à la lettre par les pouvoirs publics, sans quoi, par exemple, le parc du Puy du Fou n’aurait peut-être pas obtenu le droit de rouvrir d’ici quelques jours. Mais c’est bien sous son autorité que le gouvernement a pris ses décisions.
Dès lors, une question se pose, à propos cette fois du changement climatique : pourquoi, sur ce sujet, les scientifiques ont-ils autant de mal à se faire entendre ? Pourquoi, alors que l’urgence n’est pas moindre (même si elle est d’une autre nature), les décideurs politiques paraissent, si ce n’est indifférent, du moins tétanisés ? Pourquoi les scientifiques en sont-ils réduits à signer des tribunes toujours plus alarmistes et désespérées ?
Le changement climatique est pourtant bien mieux documenté que la Covid 19 (et c’est bien normal, cela fait des années que les experts y travaillent). Il fait par ailleurs l’objet, contrairement au virus, d’un vrai consensus scientifique. C’est sur cette base que sont publiés, après débats, les rapports du GIEC (le Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat).
Les gouvernements ne peuvent donc pas arguer de l’existence de controverses qui retarderaient leurs décisions. Ils le peuvent d’autant moins que, pour être approuvée, la synthèse des rapports du GIEC doit d’abord être relue par les gouvernements. On peut d’ailleurs rappeler au passage que c’est bien du politique que cette instance tire sa légitimité, puisque c’est sous l’impulsion de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher que le GIEC a été créé, en 1988. Il est vrai qu’à l’époque, le président américain y voyait surtout un moyen de limiter l’influence des militants écolos en confiant la question du climat aux scientifiques.
Bref, davantage encore que pour la Covid 19, tout concourt à ce que le travail de la communauté scientifique sur le changement climatique se traduise en décisions ‘’radicales’’ eu égard aux enjeux (le confinement et la mise à l’arrêt de l’économie sont bien de cet ordre). Or, ce n’est pas le cas.
Pour quelles raisons ? Et bien parce que les temporalités ne sont pas les mêmes. Les mesures prises pour lutter contre l’épidémie sont provisoires, celles nécessaires pour lutter contre le changement climatique sont systémiques : elles interdisent tout retour en arrière. Ensuite parce que, si la crise du coronavirus engage directement la responsabilité de ceux qui exercent le pouvoir, les conséquences du changement climatique, elles, ne se feront véritablement sentir que dans quelques années. Cela revient à dissoudre dans le temps les responsabilités. Le temps, le grand ennemi du changement.
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