

Pour l'avocat Philippe Sands, parler de crime contre l'humanité ne suffit plus pour alerter l'opinion. Seule la notion de génocide est opérante. Ce serait la même chose pour l'écocide ?
Pour commencer cette chronique, je vous propose de faire un petit voyage en arrière, il y a tout juste 24 h. Nous sommes dans ce même studio, à France Culture, et votre invité, l’avocat Philippe Sands, spécialiste des droits de l’Homme et de la justice internationale, dit ceci :
Il y a un débat au Royaume-Uni en ce moment : est-ce que ce qui se passe avec les Ouïghours, c'est un génocide ? A partir du moment où on donne le label génocide, c'est dans tous les journaux. Si on parle de crime contre l'humanité, personne ne veut en parler. Alors ceux qui veulent protéger les Ouïghours parlent de génocide, parce qu'ils savent qu'il y aura des effets dans les médias.
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Parler de crime contre l’humanité ne suffit donc pas. Il faut passer par la notion de génocide pour alerter l’opinion. Et bien il me semble qu’en matière de climat et d’environnement, c’est un peu la même chose : certains termes deviennent inopérants parce que perçus comme trop faibles.
Je participais dernièrement à une discussion sur la façon dont les droits humains sont affectés par les nouvelles conditions climatiques. Une partie du débat portait sur la façon de nommer le sujet. Faut-il parler de changement climatique ? de réchauffement ? Ou plutôt d’urgence climatique ? ou alors de dérèglement ? voire de catastrophe ?
Discussion qui peut sembler dérisoire au regard de la gravité du phénomène qu’il s’agit de décrire, mais qui n’a rien d’accessoire si l’on part du principe que les réponses à apporter à cette crise dépendent de la façon dont celle-ci est perçue par l’opinion. A la notion de changement climatique, plus exacte mais trop neutre, certains préfèreront donc celle d’urgence, plus spectaculaire, mais qui porte en elle ses limites : pendant combien de temps peut-on parler d’urgence et rester crédible ?
Autre illustration, qui correspond davantage aux réflexions et au domaine d’intervention de votre invité : la notion d’écocide. Pour mémoire, l’écocide désigne les crimes les plus graves commis contre l’environnement, et la menace vitale qu’ils font peser sur certaines espèces. C’est une notion qui n’est pas nouvelle, elle date de l’après-guerre, mais elle n’a pas de reconnaissance juridique à ce jour. Il y a bien des lois pour combattre les atteintes à l’environnement, mais le crime d’écocide ne fait pas partie du droit international.
De la même manière que le mot ‘génocide’ témoigne du plus haut niveau de gravité s’agissant des crimes à l’égard des humains, à savoir le projet d’anéantir certains groupes sur des considérations ethniques, l’écocide aurait pour effet de désigner les pires atteintes portées à la nature, et pour utilité d’être suffisamment alarmiste pour prévenir ces atteintes avant qu’elles n’aient entièrement eu lieu.
Le problème, et c’est valable pour le génocide comme pour l’écocide, c’est qu’il s’agit d’un niveau juridique très difficile à atteindre. Les actes dénoncés comme génocidaires afin d’alerter l’opinion ne trouvent que rarement une traduction devant les tribunaux internationaux. On peut considérer que ce serait aussi le cas pour l’écocide : un outil d’interpellation davantage qu’un instrument de droit d’usage courant. Le risque du coup, c’est d’aboutir à cette autre configuration :
En 2007, quand la Cour internationale de justice a décrété que la Serbie n'était pas responsable de génocide à Srebrenica mais peut-être de crime contre l'humanité, à Belgrade, ils ont dit 'on est libres, on est innocents'. Les gens s'en foutent des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Le risque donc, c’est que les crimes de moindre ampleur soient négligés, bien qu’étant d’une extrême gravité. Et si l’on applique cette logique à la question écologique, le risque serait de dédaigner tout ce qui ne relève pas de l’écocide, donc des atteintes les plus graves à l’environnement. Sauf à considérer que c’est déjà le cas.
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