Y a plus de saisons, y a plus d'horaires, y a plus de repères

après les montres molles de Dali, le temps caoutchouteux du confinement et du changement climatique
après les montres molles de Dali, le temps caoutchouteux du confinement et du changement climatique ©Getty - Maciej Toporowicz, NYC
après les montres molles de Dali, le temps caoutchouteux du confinement et du changement climatique ©Getty - Maciej Toporowicz, NYC
après les montres molles de Dali, le temps caoutchouteux du confinement et du changement climatique ©Getty - Maciej Toporowicz, NYC
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Covid-19 et changement climatique chamboulent notre rapport au temps qui passe et au temps qu'il fait. Tous les jours sont des blue monday.

Il est remarquable qu’en ces temps de pandémie, les antennes de Radio France, et notamment celle-ci, continuent à gagner des auditeurs. Car c’est une des fonctions majeures de la radio qui est remise en cause par les mesures de confinement et autres couvre-feux : celle de nous aider à nous repérer dans le temps.

’France Culture, il est 7h, bienvenus dans les Matins !’’ Ou alors, ‘’il est 18h20 sur France Culture, c’est l’heure du Temps du débat’’. Dans le monde d’avant, cela voulait dire quelque chose. Cela voulait dire : à 7h, qu’il était l’heure de se brosser les dents avant de vite partir travailler ; à 18h20, de commencer à préparer le repas.

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La généralisation du télétravail bouleverse l’agencement de notre quotidien. On peut par exemple commencer sa journée de boulot avant d’avoir fait sa toilette (petit conseil : n’oubliez pas de reprendre vos anciennes habitudes si vous retournez au bureau). On peut aussi faire une grosse pause à partir de 16h, se plonger dans un bouquin, s’endormir, se réveiller en sursaut, et se dire qu’on va / soit manger plus tôt pour s’y remettre après / soit manger plus tard pour s’y remettre avant.

Le couvre-feu à 18h en rajoute une couche dans ce grand chamboule-tout. Je vous épargne le couplet sur les naufragés de l’apéro (phénomène sans doute très exagéré). Mais parlons courses : à quel moment y aller pour éviter l’attente aux caisses ? 15h, est-ce encore tôt ou déjà trop tard ? Dali avait ramolli les montres, le Covid-19 rend le temps caoutchouteux. Tous les jours sont des ‘Blue Monday’.

Et s’il n’y avait que nos repères quotidiens à être bouleversés… C’est aussi le cas du temps long, d’habitude rythmé par les saisons. Or il n’y a pas eu de printemps en 2020 : il y a eu le premier confinement. Pas de printemps, pas d’automne mais un deuxième confinement. Et quand, plus tard, vous parlerez des jours que nous vivons en ce moment, vous n’évoquerez pas l’hiver 2021 mais le ‘grand couvre-feu’.

D’ailleurs, Covid ou pas, il n’y a plus de saisons. Le changement climatique brouille lui aussi les repères. Les normales saisonnières, ces températures qui servent de points de comparaison pour les données météorologiques, ont perdu de leur pertinence. A tel point qu’il a fallu redéfinir ce qu’est la normalité.

Comme l’explique un des dirigeants de Météo France dans un article du Monde, ces données sont traditionnellement recalculées tous les 10 ans : ‘’au début, on le faisait pour affiner les connaissances. Aujourd’hui, on a besoin de remettre à jour des normales rendues obsolètes par l’évolution du climat’’. En quelque sorte, le froid et la chaleur n’ont plus tout à fait le même sens aujourd’hui qu’au tout début de ce siècle.

Il peut paraitre hasardeux de faire le lien entre le temps qui passe et le temps qu’il fait : l’un et l’autre ne sont pas de même nature. A ceci près qu’ils sont ‘’simultanément déréglés’’, comme le relève l’historienne des sciences Bernadette Bensaude-Vincent, dans un essai, ‘’Temps-paysage’’, publié ces jours-ci aux éditions du Pommier. Face à ce grand dérèglement, à cet effacement progressif des repères, si déstabilisant, elle suggère de revoir notre propre conception du temps, de ‘’remettre en cause l’hégémonie du temps uniforme, homogène, de la chronologie’’, de ‘’penser le temps au pluriel’’.

Plus facile à dire qu’à faire ? Voilà qui m’a ramené à un souvenir radiophonique. Le 17 juin 1997, le Mouv’, l’antenne jeune de Radio France, ouvre son antenne. Son directeur, Olivier Nanteau, a l’idée saugrenue d’y proposer des flashs d’info non pas aux heures pleines comme c’est d’usage, mais toutes les 40 minutes. Si bien que pour être informés, les auditeurs doivent être au rendez-vous à 10h, puis 10h40, 11h20, et ainsi de suite jusqu’au soir. A l’époque, cette façon d’envisager la mécanique radiophonique, très dépendante de celle des horloges, en déroute plus d’un. Avec le recul, c’est à se demander s’il n’était pas tout simplement visionnaire.

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