#BlackLivesMatter ou comment le hashtag devient un outil politique

Une manifestationb "Black Lives Matter" à Westlake
Une manifestationb "Black Lives Matter" à Westlake ©Reuters - David Ryder
Une manifestationb "Black Lives Matter" à Westlake ©Reuters - David Ryder
Une manifestationb "Black Lives Matter" à Westlake ©Reuters - David Ryder
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Souvent, on se demande ce qu'Internet change à la politique. Répondre en général est compliqué. Prendre un exemple peut aider : #BlackLivesMatter, devenu un mouvement social autour des discriminations raciales

En 2013, après l'acquittement d'un vigile latino-américain qui avait tué en 2012, en Floride, un jeune noir du nom de Trayvon Martin, une activiste afro-américaine de Los Angeles crée une page Facebook où elle écrit que « BlacklivesMatter » : « les vies noires comptent ». Peu après, une amie de cette militante créé depuis Oakland un hashtag sur Twitter, ce qui a initié une mobilisation qui continue aujourd'hui. Car c'est là chose intéressante, plus de deux ans après sa création, ce mot-clé, non seulement continue de vivre, mais il est devenu un slogan, et surtout, il a constitué une sorte de mouvement social qui comporte une vingtaine de sections aux Etats-Unis, porte des revendications, organise des manifestations, et pèse dans l'opinion publique au point de pouvoir être crédité de quelques victoires politiques (en particulier la prise de conscience d’un racisme institutionnel encore très à l’œuvre dans la poilce). Un mouvement social et politique qui à la fois s'inscrit dans une vieille tradition du militantisme noir aux Etats-Unis – et le mouvement des droits civiques en particulier -, mais qui use de moyens – en particulier dans le rapport à la technologie – qu'on avait vu émerger pendant le mouvement Occupy en 2011. Le rôle de la technologie – et de son appropriation à des fins politiques par un mouvement né vraiment dans la société – est ici essentiel.

Que font ces militantes quand elles créent un hashtag Blacklivesmatter ? Elles utilisent une fonctionnalité technique qui n'était pas prévue au départ quand Twitter a été lancé - qui a été inventée par un usager et implanté par l’entreprise, puis s’est étendu à plein d’autres services – et qui consiste à créer un mot clé (que l’on va écrire précédé d’un dièse) que tout un chacun peut insérer dans le message qu’il écrit sur Twitter ou ailleurs. Cette insertion du mot-clé va faire qu'automatiquement, le message apparaît aux yeux de ceux qui ont décidé de suivre ce hashtag. Pour le dire autrement, c'est la possibilité offerte par l'informatique de créer une grande conversation qui va rassembler tous les gens qui veulent s'y associer. #BlackLivesMatters, c’est donc une grande discussion décentralisée qui dure depuis maintenant 2ans et demi dans les réseaux. Tout ça fait du hashtag un outil politique tout à fait passionnant. Parce qu'il recouvre plein de fonctions qui jusqu'ici étaient un peu éparpillées : c’est tout bête, mais très efficace logistiquement, il permet l'organisation. Pas la peine d'envoyer des mails nominaux, des chaînes de textos pour informer. Vous donnez vos informations dans la grande discussion #blacklivesmatter et les gens intéressés peuvent être au courant c’est une sorte de label. Vous êtes témoin quelque part d’un fait relève de cette forme de racisme, vous le marquez blacklivesmatter, et il apparaît, il est identifié, il intègre la discussion ce mot clé fait aussi slogan (et le fait qu'un hashtag fonctionne ou pas dépend aussi de sa puissance évocatrice, de sa brièveté). On peut se moquer de cette brièveté, de cette simplicité (et même de l’ambiguïté) mais celui-ci fonctionne, et il a même été suffisamment générique (par rapport à d'autres mots clés associés à des villes où des noirs ont été tués par la police) pour absorber la succession de drame qui ont eu lieu depuis 2013, et en particulier l’affaire Michael Brown, à Ferguson dans le Missouri), et c’est précisément cette évidence qui a permis cela.

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Comme on a pu le voir en France à propos de #JeSuisCharlie, on est au tout début de la compréhension du sens politique de ce type de mouvement et des formes d’engagement qu’ils supposent. Des mouvements qui n'ont plus grand chose à voir avec ceux portés par des partis, des syndicats, ou même des associations, mais qui ne sont pas non plus les groupes affinitaires que l'on a connus dans l'altermondialisme. Ce qu’on sait juste, c’est qu’ils ont l’avantage d’être très plastiques, très décentralisés, moins hiérarchisés, sans leader charismatique, très ouverts et qu’ils sont devenus l’outil favori des paroles minoritaires, qu’ils favorisent la tendance contemporaine à un engagement très individuel, mais au sein d’un collectif très large sans passer par la représentation. Quant à savoir quelle traduction ce type de mouvement pourrait connaître dans la vie politique institutionnelle, c’est plus mystérieux, ou alors, c’est peut être que cette traduction est impossible. Ce qui devrait interroger nos hommes et femmes politiques.

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