Macron ou la rivière trop dirigée

Revitalisation de la rivière Aire à Genève
Revitalisation de la rivière Aire à Genève
Revitalisation de la rivière Aire à Genève
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Allégorie paysagère

Hier, j'assistais dans le cadre d'un très bon festival qui s'est déroulé près de Mâcon – la Manufacture des idées – à une discussion entre Jean-Christophe Bailly, philosophe, écrivain et qui a longtemps enseigné à l’Ecole Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage de Blois et Georges Descombes, architecte-paysagiste genevois que l’on connaît en France pour avoir notamment dessiné le jardin d’Eole, rue d’Aubervilliers à Paris, et le place nautique de Lyon-Confluence. Tous les deux ont longuement évoqué un projet réalisé par Georges Descombes à Genève. La commande exigeait de faire disparaître un long canal rectiligne pour redonner à la rivière un cours plus naturel. Georges Descombes et son équipe ont fait deux choix tout à fait intéressants : le premier était de ne pas détruire le canal, mais d'en faire autre choses - en l’occurrence une succession de jardins. Quant à la rivière, ils ont décidé, non pas de lui dessiner un cours qu'elle suivrait (ça, avec les technologies contemporaines, on sait faire disait Georges Descombes, et je pensais en l’écoutant aux merveilles technologiques que sont les bassins artificiels qui sont construits pour les compétitions sportives de kayak ou autre, où tout est modélisé par des ingénieurs pour produire chutes ou tourbillons). Mais ce n’est pas cet usage des technologies que Georges Descombes et son équipe ont choisi. Ils ont décidé de creuser une sorte de diagramme dans le sol (l’image employé par Georges Descombes est celle d’une plaquette de chocolat, avec ses carrés et ses rainures), un diagramme qui laisserait à la rivière la possibilité de créer son propre lit. Et il s’est passé ce qu’on espérait qu’il se passât. En quelques mois, la rivière a choisi son trajet, le diagramme a progressivement disparu laissant place à un cours qui n'était évidemment pas naturel, mais au moins spontané.

En écoutant tout cela, j’ai eu une révélation. N’est-ce pas là une magnifique allégorie du début de la présidence Macron ? Regardons par exemple le décret relatif du 24 mai aux attributions déléguées au secrétaire d’Etat chargé du numérique Mounir Mahjoubi. Les tâches qui attendent le nouveau secrétaire d’Etat sont nombreuses et importantes : transformation numérique de l’Etat, “politique d’ouverture et de circulation des données”, gouvernance de l’Internet, transformation numérique du travail, garantie de l’éthique et de la vie privée dans les grandes plateformes etc.On y trouve à peu près tout, je ne pense pas que les attributions d’un secrétaire d’Etat au numérique aient été si ambitieuses, ce qui justifie à soi seul son rattachement direct au Premier Ministre, et non pas au Ministre de l’Economie, comme c’était le cas jusqu’à maintenant. Mais - à moins que je me trompe - je ne vois pas une chose dans ces attributions : rien de concerne ce qui est au coeur de notre fonctionnement démocratique et concerne la fabrication de la loi. On ne voit rien de qui avait été inauguré par l’ancienne secrétaire d’Etat Axelle Lemaire quand elle avait porté sa loi pour la République Numérique : utiliser le numérique pour co-construire la loi, pour prendre en compte l’expertise de la société civile, son inventivité et ses attentes. Ce n’était pas parfait, et d’ailleurs, à l’époque déjà, Axelle Lemaire avait dû batailler avec son Ministre de tutelle qui était Emmanuel Macron. Mais c’était un début. De tout cela, il ne me semble pas rester grand chose. Et c’est là où l’histoire de la rivière prend tout son sens. Emmanuel Macron a voulu faire disparaître le grand canal rectiligne, celui du bipartisme, de l’ancienne manière de faire de la politique. Et pendant sa campagne, il a mis en avant d’autres manières de faire - et on a déjà parlé ici : les méthodes agiles qui mettent en valeur l’intelligence collective contre des processus et des hiérarchies trop rigides, il a mis en avant que son projet était une co-construction en évolution constante. Bref, on aurait pu croire qu’il y avait là l’expression d’une volonté de voir la rivière faire son lit elle-même. Mais ce n’est pas du tout cela qui est en train de se passer, comme vous l’avez expliqué tout au long de cette matinale. Pourquoi ? Il y a toutes les raisons que vous avez données. Mais il y en peut-être d’autres.

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Georges Descombes et Jean-Christophe Bailly ont évoqué les obstacles à cette idée d’une rivière qui creuserait son lit. Il faut que l’architecte accepte une sorte de retrait, qu’il accepte de laisser une forme se dessiner, sans en maîtriser tous les aspects. Il faut aussi vaincre les résistances, les résistances des technocrates de tout poils à ce type de projet dont les formes ne sont pas a priori définies, à ce type de projets qui ne sont pas forcément très spectaculaires, ces technocrates qui veulent avoir l’impression illusoire de maîtriser toutes les coulées et tous les tourbillons. On savait depuis longtemps qu’il y avait de la politique dans l’architecture. Mais jusque là, je n’avais pas mesuré à quel point.

J'aurais aimé avoir une chute qui ressaisisse tout,mais pour être en accord avec mon propose, je laisse aux auditrices et auditeurs le soin d'en trouver une avec la cascade et les remous de leur imigination politique.

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