

Une innovation chinoise qui pose questions.
Depuis 2 jours, le monde rigole bien de l’initiative du Temple du Ciel, un des lieux touristiques les plus importants de Pékin, d’installer dans ses toilettes des machines intelligentes. L’idée est de lutter contre le gaspillage - et le vol - de papier-toilette, en obligeant les gens à placer leur tête devant un écran qui enregistre leur visage et leur délivre une portion calibrée de papier-toilette. Tout cela s’inscrit, nous apprend Le Monde, dans une vaste campagne du nom de “ révolution des WC”, qui consiste à promouvoir un usage responsable et plus écologique des toilettes publics - une sorte de Révolution culturelle par le bas.
Tout le monde a bien rigolé. Alors que je ne vois pas ce qu’il y a de drôle dans cette histoire. D’abord parce que le temps de délivrance du papier n’est pas de quelques secondes, mais de 30 secondes, ce qui est assez long, et pourrait s’avérer fatal à tous les touristes qui ont été un peu audacieux culinairement pendant leur séjour. Ensuite parce que la machine est programmée de telle manière à ne pas délivrer 2 fois du papier à la même personne avant un temps de latence de 9mn. Pourquoi 9mn ? Quel savant calcul a abouti à 9mn ? Il ne me semble pas que ce soit le temps moyen qui sépare deux défécations (ou alors je ne suis pas dans la norme). Heureusement, la portion de papier accordée à chacun a été établie à 70 cm. Je me suis livré à des expériences depuis 2 jours et en ai conclu que cette quantité généreuse permet le stockage.
Mais il me semble qu’en se marrant bien, on passe à côté des deux phénomènes autrement plus importants. Le premier, c’est de bien prendre conscience que les toilettes sont un lieu stratégique pour une rencontre entre écologie et technologie. Comme c’est un lieu où - par définition - tout le monde est obligé d’aller (c’est rare les lieux où tout le monde est obligé d’aller, quand on y pense. A Radio France, on peut éviter la cantine, par exemple, mais pas les toilettes... ). En Inde, on géolocalise les toilettes pour que les gens, en quête de toilettes publiques trop rares - ne se soulagent dans la rue. Mais au-delà, des gens réfléchissent à la manière dont la technologie pourraient servir à recycler nos matières fécales. Comme le disait très joliment Neil Macleod, qui dirige le département de l’eau et des sanitaires de la ville de Durban, en Afrique du Sud, manifestement très en pointe sur ces questions “Dans un monde où des ressources comme le phosphore deviennent limitées et onéreuses, le dîner de a veille, multiplié par des millions et des millions, pourrait offrir une richesse de matériaux utilisable pour produire de l’énergie, des fertilisants, et même de l’eau recyclée.” Et il ajoutait que les technologies concernées pourraient inclure l’énergie solaire, les nanotechnologies et les micro-ondes (je ne vois pas bien ce que pourraient faire les micro-ondes là-dedans - pour chauffer ? - mais admettons) Il existe même un programme de la fondation Bill et Melinda Gates, entièrement dédié à se projeter dans les toilettes de demain. C’est tout à fait louable. Même s’il faut sans doute se préserver de l’illusion bien connue - sous le nom de géo-ingénierie - qui nous maintient dans l’illusion que c’est la technologie qui nous sauvera. Il n’y pas d’électronique ni d’intelligence artificielle dans les toilettes sèches, et pourtant ça marche très bien.
Le second phénomène, c’est l’usage d’une technologie aussi intrusive - et attentatoire à la vie privée - que la reconnaissance faciale à des fins de préservation de l’environnement. Que vont devenir les données enregistrées par ces machines ? Tous ces visages scannés pour l’éternité peut être dans l’urgence de soulager leurs besoins les plus naturels ? Avez-vous envie d’un monde où l’on sait où et quand vous allez faire caca ? Ce n’est pas un hasard que ce soit la Chine qui ose, étant donné le peu de souci qu’elle accorde aux libertés publiques. Mais le problème se pose de la même manière avec les entreprises privées qui proposent des solutions technologiques à des fins de consommation plus responsable : ce n’est pas seulement par amour de la planète que, en 2014, Google a investi 3,2 milliards de dollars pour racheter Nest, entreprise fabriquant des thermostats intelligents : les données fournies par ces outils sur la manière dont les gens consomment, et vivent, sont extrêmement précieuses, et valent très cher. Bref, faut-il vraiment que nous soyons tous transformés en duc de Vendôme, tel que le décrivait Saint-Simon dans ses dans ses notes sur le Journal du marquis de Dangeau :: “il avait accoutumé tout le monde à sa chaise percée, sur laquelle il passait ses matinées à recevoir et la foule et les gens en tout genre les plus distingués, devant lesquels à mesure que cela lui venait il faisait sans façon ce pour quoi on est en pareille posture” ?
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