Wikileaks est affaibli, mais l'existence du site a modifié notre écosystème informationnel.
Le site Wikileaks a en effet ouvert le 4 octobre 2006. Même s’il a très vite fait fuiter des documents (sur la scientologie, sur Somalie, sur le Kenya ou Guantanamo…..), il est devenu un acteur important en 2010, avec la publication d’une vidéo intitulé “Collateral damage” et qui montrait l’enregistrement d’un hélicoptère de l’armée américaine qui opérait sur le territoire iraquien et abattait un photographe, puis tirait sur une ambulance (au sens propre du terme). Il y eut ensuite le Cablegate fin 2010, la publication de 250 000 télégrammes diplomatiques américains portant notamment sur les opérations en Irak, et qui connut un retentissement international. En tout, ce sont près de 10 millions de documents qui ont été publiés en 10 ans, une masse considérable.
Bon la question de Wikileaks est une question compliquée, qu’on ne règlera pas en 3 minutes. Mais disons qu’il y a d’abord le problème d’Assange lui-même, coincé depuis 4 ans dans l’Ambassade d’Equateur à Londres et sous le coup d’une demande d’un mandat d’arrêt international émis par la Suède, où il est accusé de viol mineur. Il y a aussi les accusations de faire le jeu de la Russie - Assange a eu en 2012 une émission sur Russia Today, télévision financée par le Kremlin - mais surtout, les Russes sont fortement soupçonnés d’être derrière le piratage de 20 000 mails du Parti Démocrate qui ont été publié par Wikileaks à la fin du mois d’août. Assange nie ce lien avec la Russie, une grande enquête du New York Times ne l’a pas établi, mais n’empêche que ces soupçons ne bénéficient pas à Wikileaks. D’autant que s’y ajoute l’ acharnement contre Hillary Clinton, Assange ayant annoncé qu’il donnerait aujourd’hui une conférence de presse qui pourrait mener à l’arrestation d’Hillary Clinton, un acharnement qui en fait l’allié objectif des Républicains américains et de la campagne de Trump, surtout quand le site se met à alimenter les théories du complot les plus délirantes.
Donc, oui Wikileaks est devenu un objet très ambigu, ce qui fait l’affaire de tous ceux qui, depuis le début, dénoncent les objectifs et le mode de fonctionnement du site. Mais il y a à mon avis d’autres questions.
La première question c’est : est-ce que Wikileaks a changé quelque chose à l’écosystème de l’information ? Oui, sans doute. Même si Wikileaks n’a pas inventé les lanceurs d’alerte, il a popularisé cette fonction sociale (du fait que certains d’entre eux - on pense par exemple à Chelsea Manning, accusé d’être la source du Cablegate, condamné à 35 ans de prison en 2013 - sont devenus des icônes). Et Wikileaks a ouvert la voie à ce type de fuites qui sont devenues presque habituelle, celle de fichiers en masse, celles d’un nombre de données considérable, dans lesquelles il faut fouiller pour trouver des informations. Et c’est une manière de faire de journalisme qui est apparu à cette occasion. Une manière qui nécessite une nouvelle organisation : des journalistes qui savent manipuler ces bases de données ou travailler avec des informaticiens qui savent faire parler les données, le souci porté à par la presse à des communications sécurisées - essentiel aujourd’hui -, l’obligation faites aux médias de collaborer pour fouiller ces données et publier les résultats de ces fouilles, comme ce fut le cas pour la Cablegate, mais ensuite pour des fuites qui n’avaient plus rien à voir avec Wikileaks comme les “Panama Papers” l’année dernière. Il y a là un nouveau paradigme informationnel, dont on ne connaît aujourd’hui que les prémisses.
2ème question, plus importante sans doute : Wikileaks a-t-il changé quelque chose au fonctionnement de nos démocraties ? C’était, il faut s’en souvenir, le but premier de Julian Assange. Bon, déjà, ceux qui, à l’apparition de Wikileaks, ont défendu la nécessité du secret, ceux qui ont dénoncé les méfaits de l’idéologie de la transparence, ont eu le temps de se rassurer : Wikileaks n’a pas rendu l’exercice du pouvoir plus transparent (et d’ailleurs, l’absence de transparence du fonctionnement de Wikileaks lui-même n’a pas joué en faveur de cet idéal). Néanmoins, le mouvement de l’open data inauguré dans certaines démocraties (et qui consiste à ouvrir à la consultation tout un ensemble de données publiques) peut être vu comme une conséquence indirecte de Wikileaks. L’idée qu’il y a de l’information dans ces énormes masses de données produites et manipulées par les Etats, l’idée que s’y loge une part du pouvoir contemporain, l’idée que dans un monde de plus en plus administré par l’informatique, les contre-pouvoirs seront aussi informatiques, tout cela est un leg de Wikileaks, un leg sans doute durable, dont la figure problématique et romanesque d’Assange restera pour l’histoire l’initiateur ambivalent.
A écouter : Juan Branco, ancien conseiller juridique de Wikileaks, invité du journal de 12h30
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