

Leurs noms d’artistes s’imposent sans commentaires, et leur place s’installe une fois pour toutes.
Nous vivons deux évènements majeurs dans l’Histoire de l’art : la première rétrospective à Orsay, temple des impressionnistes, d’une figure importante du mouvement, la peintre Berthe Morisot, et la plus grande exposition monographique jamais consacrée à l’œuvre de la photographe Dora Maar au Centre Pompidou.
Ces deux expositions, au-delà de la force des pièces qui y sont présentées, constituent deux mises en récit qui viennent « réparer » une injustice du regard, et révèlent, en creux, tout ce qui a pu parasiter ce regard. Mais comment ? Cas d’école en trois temps.
Premièrement : éloigner l’astre masculin qui fait de l’ombre à ces femmes artistes.
Pour Berthe Morisot, c’est Edouard Manet, qui l’a beaucoup peinte, ce qui a pu entretenir l’image d’une muse. D’ailleurs, longtemps dans les biographies de Morisot elle n’existait que comme « modèle et belle-sœur de Manet » dont elle avait épousé le frère, Eugène. Le seul homme avec qui, par ailleurs, elle ait consenti à se marier à 30 ans, parce que lui, le peintre amateur soutenait sa carrière professionnelle, et acceptait qu’elle signe de son nom de jeune fille « Morisot » pas « Manet ». Cela n’empêchera pas Berthe Morisot de se retrouver au cimetière en tant que « veuve d’Eugène Manet » et « sans profession ». Mais, l’exposition au musée d’Orsay, centrée uniquement sur ses œuvres, fait enfin entrer Berthe Morisot à sa place : c’est à dire au centre du groupe des impressionniste et pas en périphérie. Elle qui fut la seule femme à exposer au salon emblématique de 1873, entourée de 29 hommes, n’occupait en rien une position minoritaire.
Pour Dora Maar, c’est Picasso qu’il a fallu mettre à distance. L’exposition au centre George Pompidou en finit elle aussi avec l’image de muse. On y éloigne volontairement le célèbre « Portrait de la femme qui pleure » que le peintre a fait d’elle, et le couple Maar/Picasso tient une place anecdotique. Les trois commissairEs, ne perdent même pas de temps à souligner ce que Dora Maar a pu apporter à Picasso, ce serait à nouveau la décrire par rapport à un référent masculin. En revanche, on comprend qu’il l’initie à la peinture, et qu’elle l’initie à la photographie, un échange de médium d’égal à égal. Rien d’autre. L’exposition s’offre même une inversion des rôles : soulignant que Dora Maar est la première à prendre Picasso en photo dans son studio, avant que lui ne la peigne. Il devient donc le modèle, la muse.
Deuxièmement, pour rendre justice à ces femmes artistes, il faut déboulonner une série de clichés sur leur œuvre.
Ainsi Berthe Morisot n’est pas la peintre à la touche délicate et raffinée appliquée aux sujets de « bonnes femmes » : maternité, scènes domestiques, femmes en toilettes. La commissaire Sylvie Patry montre au contraire le dynamisme, la brutalité, l’inachevé dans les toiles de Morisot. Et comment, sans avoir les mêmes accès que les hommes à « la vie moderne » dont parle Baudelaire, celle des cafés, des nuits et des filles de joie, Morisot tente de produite une peinture qui est en est néanmoins l’expression. Dans les conditions de circulation restreintes qui lui sont imposées par son genre, elles saisit des scènes d’extérieur et d’intérieur cher vives, toujours au plus « instantané », et au plus près de la fameuse « impression ».
Quant à Dora Maar, il a aura fallu également défaire les vieilles légendes qui étouffaient son œuvre. Après sa rupture avec Picasso en 1945/46, on la disait recluse, or, à ce moment-là, elle fait 4 à 5 grosses expositions par an! En sortant ces sources objectives, l’exposition corrige un mythe. Elle valorise par ailleurs ses photographies humanistes ou encore ses travaux de peintres, trop souvent minorés par rapport à sa période de photomontage surréaliste.
Enfin troisièmement, pour corriger le regard sur ces femmes artistes, il faut s’affranchir des sous titres. Ni l’exposition Berthe Morisot, ni l’exposition Dora Maar ne jugent nécessaire de leur adjoindre des qualificatifs du type « L’indépendante » « L’intrépide » « L’insoumise » ou sais-je encore... Leurs noms d’artistes s’imposent sans commentaires, et leur place s’installe une fois pour toutes.
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