Beyoncé et Jay Z, la Pop Culture n’existe plus?

Beyoncé et Jay Z devant la Joconde. Le clip « Apeshit » a été tourné en toute discrétion au musée du Louvre durant deux nuits, de 22h30 à 6h30 du matin. Youtube
Beyoncé et Jay Z devant la Joconde. Le clip « Apeshit » a été tourné en toute discrétion au musée du Louvre durant deux nuits, de 22h30 à 6h30 du matin. Youtube
Beyoncé et Jay Z devant la Joconde. Le clip « Apeshit » a été tourné en toute discrétion au musée du Louvre durant deux nuits, de 22h30 à 6h30 du matin. Youtube
Beyoncé et Jay Z devant la Joconde. Le clip « Apeshit » a été tourné en toute discrétion au musée du Louvre durant deux nuits, de 22h30 à 6h30 du matin. Youtube
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Mythologie contemporaine le clip « Apeshit », ou la prise du Louvre par les Carters, n’a pas fini de livrer son sens.

«To go apeshit » veut dire s’emballer, à l’image des compteurs de Youtube qui affichent désormais plus de 30 millions de vues en moins d’une semaine pour le clip surprise de Beyoncé et Jay Z. Dans l’emballement généralisé, le propre de cette mythologie contemporaine est de ne pas avoir fini de livrer son sens, elle est foncièrement polysémique.

Tourné au Louvre, que le couple a visité à quatre reprises ces dix dernières années, le clip a évidemment au premier coup d’œil les allures d’une promotion gagnant-gagnant.

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L’institution attire un nouveau public à travers ce catalogue de chefs d’œuvres mues en icônes pop. Et en six minutes chrono, les Carters, le patronyme de Jay Z et Beyoncé dans le civil, contribuent efficacement au plan d’"irrigation culturelle" voulue par la ministre de la Culture.

De leur côté, les Carters qui s’étaient déjà présentés sous les traits de Bonnie and Clyde, réussissent le hold-up suprême : s’emparer des plus grands chefs d’œuvre du Louvre la nuit, pour mettre en scène leur triomphe. Ils s’en étonneraient même encore « I cant’ believe we made it » chante Beyoncé.

https://www.youtube.com/watch?v=kbMqWXnpXcA

Mais ce « I can’t believe we made it » - je peux pas croire qu’on y soit arrivé - est multiple, et c’est là qu’il est intéressant. 

C’est bien sûr celui de deux artistes venus du rap et du R’N’B qui s’offrent leur sacre au Louvre comme des monarques. Dans ce temple de la Culture de référence, Beyoncé se pose en équivalent de La Joconde. Drapée devant la Victoire de Samothrace, elle devient la Victoire. Même si ce jeu symbolique le rappeur Will.i.am l’avait déjà pratiqué, s'invitant dans les plus illustres tableaux du Louvre pour son clip "Mona Lisa Smile". Du reste, dansant devant l’immense Sacre de Napoléon de Jacques-Louis David, Queen B s’intronise Impératrice. Le clip semble souffler ces mots : à notre ère, nous aurons réussi à produire des œuvres phares, et cette culture peut dialoguer d’égal à égal avec les maîtres de la renaissance ou les grands peintres romantiques du XIXème siècle.

En arriver là, c’est aussi par la profusion des symboles politiques convoqués, une réparation pour les afro-américains et pour la cause noire. Le « Portrait d’une femme noire » de Marie-Guillemine Benoît, un des premiers à représenter une femme noire en femme libre et pas en esclave, nous le dit. Tout comme Jay Z en cavalier noir qui succède à L’officier de chasseurs à cheval de Géricault. Tout comme cet homme noir qui représente l’espoir à la pointe du Radeau de la Méduse en plein tourment. Tout comme ce genou à terre qui symbolise la fronde des sportifs contre les violences raciales. Enfin, tout comme ces scènes contemporaines de vie quotidiennes d’un couple noir qui viennent se glisser dans le dialogue des Carters avec les splendeurs du Louvre.

Là où la mythologie de Beyoncé et Jay Z n’a pas encore fini de déployer son sens, c’est qu’elle reste ambivalente. La Pop culture n’existe plus tant elle est riche de toute la Culture et tant elle s’est hybridée. Mais plutôt  que de dissoudre une distinction entre culture haute et basse le clip la renforce. Quant à ces chefs d'oeuvres de la culture dite « blanche » ils restent le point de comparaison absolu, alors que de toute évidence ils demeurent une expression grandiose au même titre que tant d’autres de la culture dite « noire ». Le pari esthétique accompli, le grand saut égalitaire n’a peut-être pas eu lieu.