

Le langage de la politique culturelle a parfois quelque chose de contre-performatif, qu’on parle de « favoriser l’accès à la culture » et aussitôt une distance se créé. Dans la cinématographie de Claire Burger tout devient possible.
Nous sommes à Forbach en Lorraine, ville sinistrée comme on dit, dans un théâtre des habitants sont rassemblés ils participent à un projet qui voudrait pousser un peu les murs de cet horizon qui s’est refermé sur eux.
Chacun prend la parole, tente de se formuler : « je suis un peu assez fier de moi » ou « je porte mon sac et j’avance ». La belle lumière court sur les visages, les halos formés par les poursuites caressent l’assemblée. Et puis, il y a Mario agent administratif qui est là et qui n’a rien à dire parce qu’au théâtre il était venu pour jouer des rôles…
La scène d’introduction de « Ça c’est l’amour » de Claire Burger reproduit le dispositif de « L’Atlas », une pièce créée avec les habitants, un coryphée amateur où chacun doit trouver la phrase qui le raconte avant d’être repris par les autres. Au cinéma, ce sont bien des habitants, des non-professionnels, qu’a choisis Claire Burger. Elle ne représente pas le dispositif, elle le recrée certes pour la caméra mais pour de vrai. Comme dans « Party Girl » pour lequel elle a été co-caméra d’or au festival de Cannes, Claire Burger propose un cinéma de fiction qui n’est pas seulement là pour raconter, il ne témoigne pas d’une expérience, il la vit.
Parfois, le langage de la politique culturelle a quelque chose de contre-performatif. Quand il dit promouvoir «l’accès à la culture » aller chercher les « publics empêchés » « démocratiser » : instantanément une distance se crée. Dans la cinématographie de Claire Burger au contraire soudain quelque chose est possible.
D’ailleurs, il faut affronter ce trouble en tant que spectateur, celui qui vient titiller votre cynisme, encore un de ces projets socioculturels de « prise de parole » n’est-ce pas… Et la vie de ces gens, après la déflagration des mines, le taux de chômage qui peut toucher un quart des actifs hommes et femmes, et l’extrême droite qui fait son lit, que sera-t-elle après cette lumière d’un soir ?
Quand Mario s’interroge sur l’éclairage qui sera choisi pour la représentation finale, on l’éconduit gentiment, ce n’est pas son problème (enfin pour l’instant bien sûr), de quoi se mêle-t-il « allez Mario raconte ton histoire, oui vas-y c’est bien, c’était très touchant… » Si ces points du scénario existent c’est précisément pour nous laisser spectateur face à notre regard ambivalent, celui qui a envie de juger, de disqualifier. Pourtant ce qu’il y a de magique et de tragique d’un mot, et que le film arrive à transmettre c’est que d’un geste sincère, bien trouvé, on peut retourner vers le futur. Le possible.
« Ça c’est l’amour » ne définit pas l’amour. Il s’attache à ces rapports confus à l’échelle intime du personnage de Mario : ces deux filles, sa femme qui l’a quitté ; comme à l’échelle sociale de ses habitants dans un théâtre.
Regarder les préjugés sur les femmes, les hommes, les autres, se dissoudre à l’écran. De Paolo Conte aux opéras, des polyphonies corses à la musique électronique : la bande son est à l’image de ce personnage de Mario, incarné par Bouli Lanners, elle passe du savant au populaire, elle incarne non pas la culture pour tous, qui serait descendue de l’élite vers le bon peuple, mais la culture de tous.
Mario est toujours au concert, au théâtre, devant un Ballet d’Angelin Preljocaj à la télé, ou entrain d’emmener ces filles dans l’exposition de la photographe contemporaine Smith, icône de la fluidité des genres et des sexualités. Cette culture circule sans pose. Sans classe. Et surtout elle est une ressource vers soi, un point d’ouverture vers une reconstruction émotionnelle et sociétale.
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