Une vente-exposition événement où les prix s'envolent : un paradoxe pour la première femme designer française qui mettait l'accessibilité et le social au cœur de son œuvre ?
Ce qui rare est cher, on ne refait pas l’adage, et dans le carré d’or des grands maître du design français formé par Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Jean Prouvé, il y a donc une seule femme, la première designer française Charlotte Perriand. Animée comme ses comparses de l’époque d’une ambition : mettre son talent d’artiste au service d’une modernité à inventer et à faire partager au plus grand nombre.
Demain une vente-exposition événement de 20 pièces emblématiques de Charlotte Perriand aura lieu à Paris chez Art Curial intitulée « Charlotte For Ever ». Et comme Charlotte n’a jamais connu le succès commercial de son vivant, ses créations ont donc été éditées et fabriquées à très peu d’exemplaires. Une rareté qui a mécaniquement fait grimper les prix, mais qui n’était pas voulue ni conçue comme telle.
Longtemps sous-évaluée
Du reste on peut se réjouir de voir sa cote monter avec son bureau dit "en forme" estimé entre 300 000 et 400 000 euros, quand les tables de son confrère Jean Prouvé ont déjà dépassé le million d’euros. Car dans cette aventure du design et de l’architecture moderne Charlotte Perriand a longtemps été sous-évaluée, et prise pour une exécutante par Le Corbusier. Elle qui a rejoint l'agence de Pierre Jeanneret et du Corbusier en 1927, collabora par exemple à une vaste étude sur l’habitation minimum en 1931 regroupée sous le nom de « ville radieuse ». Elle en produit la majeure partie ainsi que les dessins mais n’est pas créditée. Il faudra attendre 1935 pour qu’elle y soit mentionnée comme collaboratrice… A propos de Le Corbusier elle écrit à Pierre Jeanneret «Notre Corbu, je pense que nous ne pouvons pas nous en détacher, pas plus toi que moi – et ses manières avec nous peuvent nous causer de la joie ou de la peine, c’est ainsi… ». Elle s’en détachera quand même, quittant l’Atelier Le Corbusier à la fin des années 30.
Mais aujourd’hui que les créations de Charlotte Perriand se vendent à prix d’or, il faut rappeler que pourtant c’est l’engagement social qui est le fil conducteur de toute son œuvre.
Révolutionnaire et utopiste
Préoccupée par le logement social, elle est en adéquation bien sûr avec ce qu’on appellera la charte d’Athènes de Le Corbusier à savoir « la nécessité d'une conception nouvelle de l'architecture, qui satisfasse aux exigences matérielles, sentimentales et spirituelles de la vie présente. ». Elle sera membre avec Gide, Eluard ou Malraux de L' Association des Écrivains et des Artistes Révolutionnaires. Elle s’engagera aussi en son nom, comme en 1936 au salon des arts ménagers où elle conçoit pour l’ancêtre des HLM une "Salle de séjour à budget populaire" avec un mobilier à la portée des classes moyenne, grande table en chêne massif, fauteuils pliables et empilables. Ikea la qualité et puissance esthétique en plus, le monopole en moins !
L’occasion pour Charlotte Perriand d’exposer alors un immense photomontage intitulé « la grande misère de Paris» où elle dénonce le « surpeuplement, la misère du logement, les maladies ». Engagée mais pas dogmatique Charlotte Perriand. D’ailleurs 1939 marquera sa rupture avec le parti communiste français dont elle estime l’idéologie dévoyée suite à deux séjours à Moscou.
Penser un environnement où l'on peut penser…
Mais ce qui touche c’est le prolongement de cette veine sociale et utopique tout au long de ces 75 ans de carrières, avec la conviction que l’environnement peut quelque chose pour la pensée humaine. À ce titre son séjour au Japon où elle est mandatée pendant les années 40 pour orienter la production industrielle du pays est déterminant.
Penser le vide dans les espaces pour les « laisser filer l'œil », travailler sur les matériaux - comme le bois -démultipliés par la main de l’homme plus que l’industrie, concevoir l’espace de manière harmonique plus que métrique. Autant de clefs toujours actives pour la modernité. Ses créations pour les chambres de la Cité Internationale Universitaire de Paris en sont les témoins. Son aménagement de la station de ski les Arcs aussi, même si il n’en reste aujourd’hui que les dessins. Dommage. Alors que les pièces de Charlotte Perriand sont désormais inabordables, elles furent un temps accessibles à tous…
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