

Les mots de Marguerite Duras courent partout en ce mois de janvier.
Les mots de Duras, dramaturge avec "Les Eaux et forêts" une pièce de 1965 actuellement mise en scène par Michel Didym, de Duras romancière avec l’adaptation que propose la metteure en scène Katie Mitchell de "La maladie de la mort" paru en 1982, enfin ceux de Duras diariste avec le film « La Douleur » d’Emmanuel Finkiel qui porte à l’écran ce journal écrit entre la fin de l’occupation et la libération de Paris, publié 40 ans plus tard en 1985. Duras et la musicalité unique de sa phrase, comment lui donner corps ? La faire entendre au plus juste dans l’aujourd’hui ?
Il y a ces mots faits pour l’écoute de la scène comme dans "Les Eaux et forêts" qu’elle qualifiait de sur-comédie. Mais les mots du roman, ceux du journal : comment les faire éclore dans une autre bouche, alors qu’à la lecture au fond on n’entend que sa voix à elle ? La voix de Duras qui recouvre tout.
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Duras qui parle, c’est déjà son écriture. Et l’entretien accordé à Bernard Pivot dans cet Apostrophes de 1984, l’année de son Prix Goncourt pour L’Amant, hantent nos oreilles. Quand ce n’est pas Duras, c’est une sœur d’âme comme Jeanne Moreau, voix-off de la narratrice dans l’adaptation de L’Amant justement, porté au cinéma par Jean-Jacques Annaud en 1992. Encore une voix qui recouvre, Jeanne Moreau.
Patrice Chéreau et d’autres sont passés par cette question de la mise en scène de la voix durassienne, mais aujourd’hui l’idée retenue par Katie Mitchell dans « La Maladie de la mort » qu’elle présente aux Bouffes du Nord à Paris, c’est de ne pas donner un corps à la voix qu’on entend dans l’écriture, ni pas la dissoudre en off. Juste montrer la voix. Pour cela, elle est isolée dans une cabine d’enregistrement en bord de scène. Irène Jacob, narratrice, et voix pure, assise dans cette cabine, tient le livre de Duras, et devant son micro, elle en cisèle les mots à la perfection. Au centre de la scène et sur l’écran, « l’homme », « la femme », les personnages de ce roman, se chargent de la chaire, des fantômes, et des impossibles qu’elle charrie. Miracle, ainsi détachée, on entend l’écriture dans sa matière.
Qu’en est-il pour la première adaptation au cinéma de La Douleur, journal de Marguerite qui n’est pas encore Duras, et qui raconte cette quête puis cette attente déchirante de son mari, l’écrivain Robert Antelme, résistant arrêté et déporté ? Emmanuel Finkiel qui réalise le film parle de déni. Oublier le monument Duras, oublier aussi tous les films sur l’occupation, oublier l’idée du biopic. S’attacher à la femme et à la voix « écrivante ». Nous mettre tout entier dans cette subjectivité qui est double. Car dans La Douleur, il y a à la fois les émotions complexes et l’incertitude à en mourir de Marguerite, mais aussi la part réflexive de Duras en 1985. Oui, deux voix en une.
Si Marguerite Duras affirme qu’elle a écrit ce journal dans un état dont elle ne se souvient pas « un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment », sans avoir « osé toucher ce texte au regard de quoi » dit-elle, « la littérature me fait honte », on le sait aujourd’hui, la publication chez POL 40 ans plus tard est retouchée par l’auteure.
C’est dans cet espace trouble entre fiction et biographie que peut se glisser Mélanie Thierry sans singer, sans figer. Tour à tour en voix extérieur et intérieure. Comme dans cet extrait du journal qui raconte les échanges ambivalents de Duras avec Rabier, officier de la Gestapo auprès duquel elle tente d’obtenir des informations sur son mari.
Duras parlait d’une écriture qui « coure à la crête des mots (…) pour aller vite, pour ne pas perdre » et c’est la puissance de cette vérité fugitive, la seule peut-être, qui se fait entendre dans ces nouvelles voix.
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