"Grâce à Dieu" de Francois Ozon, reporter c’est censurer ?

Photo de "Grâce à Dieu", sortie du film programmée le 20 février 2019 @MarsFilms
Photo de "Grâce à Dieu", sortie du film programmée le 20 février 2019 @MarsFilms
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Si tous les abus relatés par le film ont déjà été présentés publiquement comme avérés, est-ce alors la puissance de la fiction qui est en cause ? Attendre la fin du procès du père Preynat pour autoriser le film à sortir serait l’expression d’une nouvelle hypocrisie collective.

Suspendre la sortie de « Grâce à Dieu » jusqu’à l’issue du procès du père Preynat à la fin de l’année ou en 2020, relève-t-il de la « censure » comme l’a formulé le réalisateur François Ozon ? 

Couronné de l’Ours d’argent, le grand prix du Jury à la Berlinale ce week-end, le film devait rejoindre les salles ce mercredi. Mais « Grâce à Dieu » qui raconte la naissance de l'association de victimes "La Parole Libérée", fondée à Lyon en 2015 par d'anciens scouts qui ont accusé le père Preynat d'avoir abusé d'eux avant 1991, pourrait ne pas être autorisé à sortir. 

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Journal de 8 h
15 min

Un recours a été déposé par l’un des avocats du père la semaine dernière, il exige un report du film au nom de la présomption d’innocence. La justice rendra à ce sujet sa décision aujourd’hui. Sans s’y substituer on peut néanmoins poser un certains nombre d’enjeux. 

Le film n’apporte aucune révélation, tout ce qui y est mentionné a déjà été publié dans la presse, retracé dans des reportages, scruté dans un livre « Histoire d’un silence » publié par notre consoeure de La Croix Isabelle de Golmyn au Seuil en 2016, ou encore mis à disposition sur le site de l’association « la parole libérée ». Des lettres d’aveux de Bernard Preynat lui-même ont également été mises à la connaissance du public. Ce qui fait dire à l’avocat qui défend le long métrage « voilà quelqu’un qui se reconnaît coupable et demande le respect de sa présomption d’innocence ! »

Au vrai « Grace à Dieu » qui devait s’appeler « L’homme qui pleure » se concentre davantage sur la souffrance des victimes, et leur combat face au manque d’empathie et au déni de l’Eglise. C’est là son apport au regard de tout ce qui a été produit sur cette affaire et qui présentait déjà les faits comme avérés. 

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Est-ce alors la puissance du cinéma qui est en jeu, et précisément celle de la fiction, car François Ozon n’a pas choisi la voie documentaire ? 

Est-ce le trouble de l’entre deux qui pose problème ? Quand les noms de famille des victimes mais pas tous les prénoms ont été changés alors que les patronymes des protagonistes ecclésiastiques n’ont pas été modifiés. Ce que Régine Maire, bénévole de l’Église et psychologue de formation qui avait été chargée par le cardinal Philippe Barbarin en 2014 de recevoir l’une des victimes, vit très mal. Elle a d’ailleurs déposé un recours pour que son nom soit supprimé. Du reste « Grâce à Dieu » se présente comme « inspirés de faits réels » et rappelle au générique que le père Preynat et le cardinal Barbarin (en procès pour non dénonciation d’abus sexuels) sont présumés innocents.

Il se trouve que la sortie potentielle du film intervient au moment d’un sommet mondial sur les crimes pédophiles. Le patron des évêques de France, Monseigneur Pontier déclarait à ce titre : « il y a quelque chose de systémique dans la négligence, le poids et la défense des institutions par rapport aux personnes victimes ». Et ce silence organisé y compris au sein des familles relève pour lui du « péché collectif ». 

Pour autant il se prononce pour le report du film « ce père Preynat, cela ne fait pas de doute, a commis des faits répréhensibles » dit-il « mais il faut un respect minimum de la présomption d’innocence». Etrange formule duplice.

Le report de la sortie de « Grâce à Dieu » à la fin du procès Preynat ne serait-il pas précisément l’expression d’une nouvelle hypocrisie collective ?

Mise à jour lundi 18/02 : La justice a rejeté la demande de report de la sortie du film estimant qu’elle n’était pas « promotionnée » à l’atteinte à la présomption d’innocence.

https://www.lemonde.fr/cinema/article/2019/02/18/decision-attendue-sur-la-sortie-en-salles-de-grace-a-dieu-mercredi_5424771_3476.html