Hommage à René Pétillon, l’ironie contre le commentaire

BD de Pétillon
BD de Pétillon ©AFP - DOMINIQUE FAGET
BD de Pétillon ©AFP - DOMINIQUE FAGET
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Que peut la satire quand le réel dépasse la caricature ? Lorsqu’il a publié sa dernière anthologie de dessins pour le "Canard Enchaîné", le dessinateur évoquait cet ambitieux défi.

Lorsque l’actualité se charge elle-même de grossir le trait, comment trouver la bonne formule, entre le rire facile et « l’humour tract » ?  Pétillon y parvenait avec une telle finesse, qu’à regarder la dernière déclaration d’amour du président des Etats-Unis, Donald Trump au leader nord-coréen Kim Jong Un, nous nous sentons bien orphelins…

Pour René Pétillon, Trump était non pas un cadeau mais un « véritable cauchemar de caricaturiste » ! Un cauchemar qu’il fallait néanmoins affronter. Entre l’artiste et le journaliste, l’ironiste, terme qu’il préférait à celui de caricaturiste, a pour lui une fonction sociale. 

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En un dessin, je me souviens qu’il avait résumé le paradoxe de Trump. Cet homme dont on cherche à démonter les mensonges, alors que cette vérité indiffère toute une partie de la population, qui préfère croire à l’histoire qu’elle veut qu’on lui raconte. Donald Trump debout sur une estrade lance « est-ce que je dois continuer à Tweeter ?» - « Yes » lui répond la foule unanime, « et à mentir ?» « Yes » !

En 40 ans de satire sociale et politique, Pétillon, enfant de la révolution « Pilote » aux côtés de René Goscinny, a développé un trait de plus en plus puissant. Nourri en outre par ses allers et retours entre le dessin de presse et la bande dessinée. Comme ce bijou, lancé en tant que scénariste avec le dessinateur Yves Got en 1976 : « Baron Noir » ou les stratagèmes d’un vautour prédateur sur une petite ménagerie. Une analyse toujours aussi féroce du pouvoir aujourd’hui.

Mais la force de Pétillon tient dans sa capacité à se débarrasser de ce qu’il appelait « les dessins de la colère ». Chercher toujours l’idée d’après, se méfier des réflexes, c’est ainsi que l’indignation primaire laisse place à une acuité désarmante. Comme ce dessin sur l’interdiction de la cigarette au travail en 2008. Et cet homme qui répond « je veux bien arrêter mais qu’on me trouve d’abord du boulot ! ».

Enfin pour parvenir au bon « précipité » Pétillon revendiquait aussi la nécessité de ne pas être sur-informé. Son « Enquête Corse », concentré ironique de tous les clichés sur l’île de Beauté, n’est pas tant allé fouiller à la source, mais touche au plus juste grâce à l’incompétence du détective Jack Palmer. Résultat, un chef d’œuvre prix du meilleur album au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, un plébiscite du public pour son adaptation au cinéma, et un classique adoubé par les Corses eux-mêmes.

Pour Pétillon, la satire, qu’il replaçait dans la tradition des Lumières, doit agir comme un flash comique. C’est un éclair qui sort l’esprit des ténèbres du commentaire, pour laisser entrevoir une analyse salutaire. Un antidote en somme dont il avait le secret de la formule.

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