Jusqu’à son prix Nobel de physique, la scientifique Donna Strickland n'avait pas droit à une page Wikipédia. Les médias ? La recherche ? Les contributeurs ? Comment expliquer que seules 17% des notices soient consacrées aux femmes?
En attendant le prix Nobel de l’égalité (un jour, qui sait?), cette semaine d'annonce des prix Nobel aura porté l’emprunte d’un monde post #MeToo.
A commencer symboliquement par le prix Nobel de Littérature qui ne sera exceptionnellement pas décerné ce jeudi. Conséquence des révélations de violences sexuelles et des remises en question nées dans le sillage du mouvement #MeToo, entraînant une série de démissions au sein de l’académie suédoise.
Autre événement d’une toute autre teneur, mais propulsé par une lame de fond commune, dire l’inégalité et la persistante de la domination masculine, la controverse wikipédienne autour de la nouvelle prix Nobel de physique Donna Strickland.
Désormais Donna Strickland est la seule femme vivante ayant obtenu cette distinction, précédée de Marie Curie et de Maria Goeppert-Mayer. Trois femmes sur 209 récipiendaires depuis l’existence du Nobel de physique ... Hum... Mais il n’y a pas assez de femmes scientifiques paraît-il. En réalité, il y en a, mais on ne les voit pas.
Donna Strickland, pionnière de la recherche sur les lasers, multi-récompensée dans sa discipline depuis 1998, n’avait pas de page Wikipédia avant de recevoir son Prix Nobel. Un brouillon avait bien été proposé en mai par un internaute contributeur mais il avait été rejeté. La cause ? Donna Strickland ne satisfaisait pas aux règles de notoriété de l’encyclopédie en ligne. Il faut pour cela une « couverture significative et durable », provenant de « sources fiables et indépendantes de ce sujet ».
Alors à tous les journalistes qui voudraient en profiter pour faire le procès en sexisme de Wikipédia, où plus de 80% des notices biographiques sont, du reste, consacrées aux hommes, la directrice de la fondation Wikimédia répondait :
« Nous sommes un miroir des discriminations du monde, nous n’en sommes pas la source. Nous ne pouvons pas écrire d’articles sur ce que vous ne couvrez pas. » !
Le cas de Donna Strickland est en effet plus que symptomatique. Jusqu’à son Nobel, elle était ce qu’on appelle une « Sans PagEs », du nom de ce collectif qui, au sein de la communauté wikipédienne, lutte contre la sous-représentation féminine sur le site participatif. Et comment ? Dans les discussions entre contributeurs pour promouvoir des notices sur les femmes. A travers des « Edit-a-thons » ces rassemblements où l’on édite et l’on forme à l’édition de pages biographiques sur les femmes. Enfin en grâce à u n outil tout récent qui permet de rechercher dans des articles de presse académiques les éléments biographiques de scientifiques ne disposant pas de pages Wikipédia.
Car si la « notoriété » de la future Prix Nobel de physique ne semblait pas suffisante, faute d’articles sources la citant, il arrive aussi que des centaines de pages mentionnent des personnalités du monde des savoirs sans qu’elles figurent dans l’encyclopédie 2.0.
Le filtre peu paritaire des médias généralistes reste essentiel mais n’est pas le seul facteur. La parité même au sein de la communauté wikipédienne où 80% des contributeurs sont des hommes joue en rôle, les articles universitaires où les femmes sont sous représentées aussi, et enfin la recherche historique qui est principalement le fait d’hommes. La recherche tout court même, marquée par cette même invisibilité. D'ailleurs Donna Strickland n’avait pas été promue Professeure, elle était restée Maîtresse de conférence...
Symptôme et reflet de la société actuelle la wikipédisation tardive de la Prix Nobel de physique rejoint l’appel lancé par 440 historiennes française qui vient d’être publié dans Le Monde contre "la domination masculine en histoire" dans un contexte de féminisation progressive, mais fragile, du corps académique. Une lettre pour l’avenir qui rejoint par des mesures concrètes et IRL (in real life) le combat des Sans PagEs.
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