La fiction mérite-t-elle un procès?

Une paire de lunette tenue devant un article en ligne à propos des soit disants « faits alternatifs » relatés par Trump.
Une paire de lunette tenue devant un article en ligne à propos des soit disants « faits alternatifs » relatés par Trump. ©AFP - Monika Skolimowska
Une paire de lunette tenue devant un article en ligne à propos des soit disants « faits alternatifs » relatés par Trump. ©AFP - Monika Skolimowska
Une paire de lunette tenue devant un article en ligne à propos des soit disants « faits alternatifs » relatés par Trump. ©AFP - Monika Skolimowska
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Ecrivains, historiens, théoriciens et philosophes vont délibérer sur la nécessité ou pas d’une frontière entre fait et fiction.

Elle l’a bien cherché non ? Pas elle directement, mais peut-être une forme qu’on pourrait appeler le « panfictionnalisme » qui défend toujours le brouillage entre fait et fiction.

Le collectif « le peuple qui manque » organise un procès fictif de la fiction, qui aura réellement lieu samedi prochain à l’Hôtel de Ville de Paris pour la Nuit Banche. Et qui rassemblera entre autres des écrivains comme Laurent Binet ou Maylis de Kerangal cités par l’accusation ou Yannick Haenel cité par la défense. Historiens, théoriciens et philosophes seront également appelés à la barre. Objectif : débattre et délibérer sur la nécessité ou pas d’une frontière entre fait et fiction.

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Ainsi aurais-je pu formuler ma question autrement : y a-t-il des limites au panfictionnalisme ? Mais avouez que je vous aurais fait mal à la tête.

"Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations "

Bien sûr la réalité prise comme une construction sociale historique politique psychique et in fine comme une fiction, est un point de passage salutaire pour la pensée. Confer Jean Baudrillard sur le simulacre, Friedrich Nietzsche « il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations », ou encore Philippe K. Dick qui part du principe paranoïaque et hallucinogène d’une réalité purement produite par notre cerveau, et bien sûr, Bernard Lavilliers et sa chanson sur la vérité !

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Avec ce matériel-là, on questionne voire on déconstruit les fictions dans lesquelles nous visons et qu’on a prises pour vraies parce qu’elles se sont sédentarisées Un appareil critique qui permet premièrement de sortir de la caverne, et deuxièmement, d’inventer de nouveaux possibles ou des contre-fictions.

Sur un plan littéraire, le brouillage de la frontière entre fait et fiction est lui aussi salutaire, et surtout passionnant. C’est défendre le mentir vrai d’Aragon plutôt qu’une exactitude qui n’a pas grand-chose à voir avec la littérature. C’est faire du vrai une considération secondaire donc éviter de réduire la lecture à une prise de mesure des écarts entre réel et fiction pour se concentrer sur l’invention formelle du texte.

Affiner la réflexion

Seulement voilà, regardons le contexte : celui des fake news et autres « faits alternatifs » prônés par l’administration Trump, celui de l’imbrication entre monde réel et virtuel, celui de mises en accusation d’écrivains auxquels on reproche de mélanger réalité et fiction notamment sur des questions mémorielles, il fallait en quelque sorte affiner la réflexion.

Se demander s’il n’est pas nécessaire de maintenir des régimes cognitifs, juridiques, éthiques différenciés entre fiction et non fiction. C’est le réquisitoire que fera dans ce procès fictif de la fiction Françoise Lavocat la bien nommée, théoricienne de la littérature et auteure de « Fait et Fiction. Pour une frontière » paru au Seuil en 2016. Bref, au moment où la vérité devient une histoire ou une opinion comme une autre, défendre la possibilité d’un discours visant la vérité par rapport à une réalité objective.

Au fond, c’est défendre la fiction que d’affirmer une part de ses frontières, car pour que ce jeu entre fait et fiction continue d’exister, il faut bien qu’il y ait des terrains distincts…

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