

Suite à un scandale sexuel, la décision d'annuler le prix Nobel de littérature 2018 vient d'être prise. L’académie suédoise traverse une crise historique.
Aucun prix Nobel de littérature ne sera donc décerné en 2018, a fait savoir l’Académie suédoise ce vendredi matin. Elle annonce le reporter d'un an. L’institution est dans la tourmente depuis la révélation d’accusations de viols et agressions visant le mari d’une académicienne. Mathilde Serrell revenait sur cette crise historique dans sa chronique du 30 avril.
Reporter le prix Nobel de littérature ? Ce serait la moindre des conséquences au vue du drame qui fissure les « immortels » de Stockholm. Depuis sa création en 1901, le Prix Nobel de littérature a déjà été reporté 7 fois, donc il pourrait s’en remettre. Mais la crise actuelle que traverse l’Académie suédoise est profonde et historique. C’est la raison d’être même du Nobel qui pourrait vaciller. Pour preuve, cette crise a engendré une événement rarissime à Stockholm : une manifestation !
Mais de quoi s’agit-il ? En résumé, Jean-Claude Arnault, éminence grise du Nobel, mari de l'une des académiciennes (la poétesse Katarina Frostenson) et directeur artistique du Forum, haut lieu culturel stockholmois, a été accusé d’agressions sexuelles et de favoritisme. Ce à quoi la secrétaire perpétuelle alors en poste, Sara Danius, a régi chargeant un cabinet d’avocats de mener une enquête interne. Les académiciens n’ont pas tenu compte des recommandations des juristes et la mauvaise gestion de la crise a entraîne la démission de trois immortels début avril. Suivi du limogeage de Sara Danius, et du départ, dans la foulée, de l’académicienne Katarina Frostenson.
Si vous faites les comptes, avec les immortels qui avaient déjà démissionné avant, suite au refus de l’Académie de condamner la fatwa contre l’écrivain britannique Salman Rushdie (ce qu’elle finira par faire 27 ans plus tard), ou pour dénoncer l’élitisme de ce cercle intellectuel, les académiciens ne sont plus que 11 sur 18. Or, selon les statuts de l'institution, 12 membres sont nécessaires pour pouvoir voter un nouveau membre. Allô Stockholm ? On a un problème.
Pour les 2000 manifestantes en chemisier lavallière, tenue fétiche de l’ancienne secrétaire perpétuelle Sara Danius, qu’elles soutiennent, la réaction de l’Académie, qui a voulu mettre cette affaire sous le tapis, incarne la persistance du patriarcat et de l’ordre établi. Et même si les académiciens ont annoncé in fine que la justice serait saisie, sur la base de la fameuse enquête interne, on parle dans la presse de « revirement sous la menace de la potence ».
Voir des académiciens fuir le lieu de réunion habituel pour éviter les manifestantes, s’écharper par médias interposés, et consentir in extremis à s’en remettre à la justice, dans une affaire qui mêle agressions sexuelles, copinage, vieux griefs et récusations, a aggravé la profonde crise de légitimité que traversaient déjà les « immortels ». Et au-delà de l’institution du Nobel, elle impacte la crédibilité de l’Académie qui joue un rôle clef dans l’infrastructure littéraire et linguistique en Suède.
Bien loin de sa devise « talent et goût », l’Académie fait donc honte aux Suédois, et perd symboliquement sur le plan international son autorité à décerner la plus grande récompense littéraire.
Mais la fin potentiel du Nobel n’est pas simplement une histoire de réputation entachée, et les questions soulevées par cette crise n’ont rien d’indigne. Comme le disait Camus, Prix Nobel de littérature, en 1957, dans son discours de Stockholm : « les vrais artistes ne méprisent rien, ils s'obligent à comprendre au lieu de juger ».
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