

Comment la série qui a porté l’élan générationnel d’un nouveau féminisme se trouverait-elle l’héritière d’un écrivain à qui l’on a reproché sa misogynie?
A priori, aucun lien. Ce serait même, en surface, le contraire. La mort de Philip Roth, unanimement célébré comme géant et génie de la littérature américaine - sauf par le président Donald Trump – réveille dans le monde post #MeToo un vieux débat sur la misogynie de l’auteur.
Comment la série « GIRLS », qui a porté l’élan générationnel d’un nouveau féminisme, se trouverait l’héritière d’un écrivain à qui l’on a reproché, en outre, ses personnages féminins sans âme ?
C’est pourtant une filiation incontestable. La créatrice et auteure de la série, Lena Dunham, le revendique elle-même. Dans un tweet-hommage, forme désormais répandue du tombeau poétique, elle écrit : « J’ai toujours plus ou moins pensé que je finirai avec Philip Roth… Je n’ai pas encore trouvé les mots pour expliquer son influence, que je ressens partout, de mon écriture à mes rendez-vous amoureux ».
Et de fait dans l’écriture de la série « Girls » et du personnage d’Hannah double fictif de Lena Duham, se retrouve celle du double célèbre de Philip Roth "Nathan Zuckerman" à qui il a consacré deux cycles de romans. Les interrogations sexuelles de l’héroïne ont également des accents de "Portnoy, et son complexe" roman qui le fait connaître en 1969.
Les références à Roth sont même explicites. Prenez l’épisode 3 de la sixième et ultime saison de "Girls". Ce moment on l’on voit le personnage d’Hannah, serrer contre son cœur un exemplaire de "When she was good" ("Quand elle était gentille" en français ») signé par Roth lui-même. "Tout le monde fait comme si ce livre de Philip Roth était le pire, mais c’est en fait le meilleur" lance Hannah dans cet épisode qui la voit tomber malgré elle dans le piège lubrique d’un écrivain plus âgé. "Et je sais que ne suis pas supposé l’aimer parce qu’il est considéré comme misogyne, qu’il rabaisse les femmes, mais je ne pas m’empêcher, j’aime sa putain d’écriture" ajoute-t-elle.
Jeu de mise en abyme, la créatrice de la série Lena Dunham joue donc sur ses propres références, laisse des traces de l’écriture dans l’écriture, et interroge en même temps ces situations qualifiées de « zones grise ».
En réalité toute la série « Girls » est traversée par l’œuvre rothienne ! Jacques Berlinerblau, qui enseigne Philip Roth depuis 20 ans à l'université de Georgetown à Washington, l’a même démontré point par point.
Il cite notamment cet exemple où le personnage d’Hannah, prof et écrivain en devenir, doit se justifier d’avoir fait lire à ses élèves la nouvelle "Goodbye, Columbus" de Roth. Pour elle, c’est une manière de faire comprendre aux jeunes filles pourquoi ça finit mal lorsqu’un jeune garçon juif, pris entre bravade sexuelle et haine extrême de soi, décide de coucher avec elles…
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Aujourd’hui Roth nous lègue une montagne de livres qui ne nous laissent pas seuls face à cette tentative toujours désespérée de comprendre l’autre. "Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle, dans la vie. L’histoire de la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on sait qu’on est vivant : on se trompe" écrit-il dans La Pastorale américaine. Et au fond ce qui lie Lena Dunham à Philip Roth est un défi particulièrement excitant : celui de l’altérité.
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